En cette fin d’année, l’Opéra de Paris nous offre un spectacle réjouissant, plein de magie : Hänsel und Gretel fut composé par Engelbert Humperdinck (1854-1921) sur un livret de sa sœur Adelheid Wette, qui lui avait suggéré d’adapter en opéra le conte éponyme des frères Grimm. La création eut lieu le 23 décembre 1893 à Weimar sous la direction de Richard Strauss.
En France, ce Märchenoper (opéra féérique) est peu connu, sinon boudé, comme en témoigne son entrée tardive – en 2013 – au répertoire de l’Opéra de Paris. À cela, il existe plusieurs raisons. En premier lieu, Engelbert Humperdinck, qui assista Richard Wagner à Bayreuth pour la création de Parsifal, a longtemps souffert d’une image de simple élève du Maître. Certes dans Hänsel und Gretel, on retrouve l’influence wagnérienne, omniprésente, dans la mélodie, l’utilisation des Leitmotive, ou encore la forêt du deuxième acte, qui fait immanquablement penser à celle de Parsifal et Siegfried. Mais Humperdinck a su « tuer le père » : comme le suggère la metteuse en scène Mariame Clément, c’est en ce sens qu’on peut interpréter la suppression de l’oiseau qui, chez les frères Grimm, guide les deux enfants vers la maison de la sorcière, et qui eût sans doute constitué une référence trop évidente à l’Oiseau de la Forêt dans la deuxième journée du Ring. Au-delà des éléments wagnériens, la partition témoigne d’une grande richesse mélodique, dans laquelle on retrouve non seulement l’héritage du romantisme allemand, mais aussi de nombreuses chansons et comptines empruntées au folklore. En Allemagne, ces mélodies font partie du patrimoine collectif et contribuent à la popularité de l’opéra. En France, en revanche, nous ne disposons pas de ces références : ici se trouve sans doute un deuxième élément d’explication au peu de succès rencontré jusqu’à présent par Hänsel und Gretel dans l’Hexagone.
Dans la fosse, sous la baguette d’Yves Abel, l’orchestre de l’Opéra de Paris restitue parfaitement cette richesse de couleurs, de textures, de saveurs. Oui, je parle de saveurs, car nous sommes bien ici dans le domaine de la gourmandise, musicale et théâtrale !
Le plateau vocal n’est pas en reste. Avec son beau timbre chaleureux, Jochen Schmeckenbecher incarne un magnifique père, mi-Papageno, mi-Kurwenal. Irmgard Vilsmaier est une mère convaincante, tantôt aimante, tantôt sévère. Doris Lamprecht, quant à elle, nous offre une sorcière éblouissante, autant sur le plan scénique qu’au niveau vocal. Son numéro de meneuse de revue dictatoriale et sensuelle est irrésistible. Andrea Hill campe un Hänsel tout en nuances, entre l’enfant apeuré et l’aspirant héros. Malgré un premier acte vocalement difficile et une diction laissant quelque peu à désirer, Bernarda Bobro a su trouver ses marques pour nous proposer une Gretel tout à fait honorable. Notons enfin les très belles prestations d’Elodie Hache en Sandmännchen (Marchand de Sable) et d’Olga Seliverstova en Taumännchen (Bonhomme Rosée).
La mise en scène constitue la clef de voûte de cette superbe construction, qui captive de bout en bout le spectateur, petit ou grand. Sans rien perdre du merveilleux qui constitue l’essence même du conte de fées, Mariame Clément a transposé l’action dans un appartement bourgeois de la fin du 19ème siècle ; les enfants ne sont pas envoyés dans la forêt, mais simplement dans leur chambre, théâtre de leurs rêves et de leurs peurs. Selon un procédé qui lui est cher, la metteuse en scène a cloisonné l’espace scénique en deux parties symétriques, composées chacune de deux cubes superposés : côté jardin, le monde réel des parents ; côté cour, l’univers imaginaire des enfants. Pour les séparer, une forêt étroite et sombre, où apparaît, au troisième acte, la superbe maison-gâteau de la sorcière. La vie réelle est mimée par des figurants (adultes et enfants), tandis que le conte est interprété par les chanteurs. Grâce à ce dispositif ingénieux, tous les niveaux de lecture de cette dualité nous sont proposés simultanément : l’enfant et l’adulte, le réel et l’imaginaire, le conscient et l’inconscient… N’oublions pas que l’époque à laquelle Humperdinck composa son opéra a vu naître la psychanalyse. C’est ainsi que la sorcière concentre tous les fantasmes relatifs à la mère, sans toutefois tomber dans le piège d’une interprétation pédante ou scabreuse.
De ce spectacle sur lequel souffle déjà l’esprit de Noël, on ressort joyeux et plein d’énergie, en fredonnant ces belles mélodies qu’on a forcément retenues. On oubliera bien vite les rares huées proférées par ceux qui, ayant irrémédiablement perdu leur âme d’enfant, ont manqué une excellente opportunité de la retrouver. Alors, laissez-vous gagner par la magie et venez vous régaler à l’Opéra Garnier avec ce délice opératique, à savourer sans modération !