Le Festival de la Grange de Meslay, dans le sillage de son père fondateur Sviatoslav Richter, donne une large de part de sa programmation au piano. Ce n’est toutefois pas le seul instrument à l’honneur : en ce week-end d'ouverture, les concerts de l’après-midi sont des concerts de musique de chambre qui laissent la part belle aux instruments à vent et à cordes frottées. Comme pour préparer le public à ce changement de timbre, deux élèves du conservatoire de Tours accueillent à la flûte traversière et au violon les spectateurs en embuscade derrière le porche de la tour carrée qui marque l’entrée dans le domaine de la grange.

Le Quatuor Fidelio à la Grange de Meslay © Gérard Proust
Le Quatuor Fidelio à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

De retour à la grange après y avoir interprété Beethoven l’année dernière, le Quatuor Fidelio propose au public du samedi un programme Mozart. Dès les premières notes du Quatuor à cordes K465, on est saisi par la finesse du son de l’ensemble. Dans une atmosphère feutrée où la musique semble émerger de nulle part, l’« Adagio » du premier mouvement, qui donne son surnom de « Dissonances » à la partition, définit une esthétique rêveuse, avant de véritablement entrer dans l’œuvre avec l’« Allegro ». Les Fidelio se distinguent par l'homogénéité de leurs timbres, chaque instrumentiste étant attentive à bien s’incorporer dans le son de ses trois collègues au gré des nombreux jeux de duos qui ponctuent le discours.

Associé à un léger vibrato omniprésent, le beau son soigné du groupe irrigue l’ensemble de la partition, mais manque cependant parfois de verve et d’engagement. Si les dynamiques sont variées, les staccatos pourraient avoir davantage de mordant, et certains passages perdent légèrement de leur force émotionnelle face à une esthétique générale certes jolie mais un peu uniforme, à l’image du trio du troisième mouvement dont la dimension opératique peine à prendre toute l’ampleur qu’elle mériterait.

Quand le clarinettiste Lilian Lefebvre rejoint les quatre musiciennes pour le Quintette avec clarinette K581, on est frappé par l’aisance avec laquelle il se fond dans un groupe à l’écoute. Il s’agit véritablement d’un quintette, et non d’un quatuor accompagnant une clarinette soliste. Cette intégration sonore est particulièrement sensible pendant le deuxième mouvement : lors de quelques gammes ascendantes presque suggérées, la clarinette sait passer au second plan alors même que les cordes sont en sourdine. Le nouvel effectif reste cependant prisonnier de l’esthétique des « Dissonances », et si l’ajout d’un instrument réveille un temps l’intérêt, on reste sur sa faim en imaginant une proposition plus malicieuse et incarnée, tout en profitant pleinement de l’écriture géniale de Mozart.

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Le Quatuor Fidelio et Lilian Lefebvre à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

Le lendemain, ce ne sont pas des élèves du conservatoire mais des oies qui accompagnent l’auditeur jusqu’à la grange. Deux oies blanches que l’on retrouve d’ailleurs sur le site internet du festival : peut-être font-elles partie de son identité ! Domestiquées chaque été par les événements musicaux, elles sont fort heureusement très placides, plus occupées par le grignotage du sol que par les mollets tourangeaux. Une chance, on peut ainsi gagner sereinement son siège pour le programme de sonates pour violon et piano d’Aylen Pritchin et Maxim Emelyanychev.

Le duo propose une mise en regard intéressante entre la Deuxième Sonate de Brahms, la Deuxième Sonate de Robert Schumann et Trois Romances de Clara Schumann. Il faut s’imaginer dans le salon du couple Schumann, où Brahms a passé de nombreuses journées, avec Joseph Joachim au violon et les compositeurs au piano.

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Aylen Pritchin et Maxim Emelyanychev à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

Dans cette optique, le son d’Aylen Pritchin est idéal. Un son très travaillé, avec un vibrato serré qui s’attache à marquer systématiquement chaque note, un archet souvent près du chevalet pour un rendu très timbré : on croit entendre un ancien enregistrement des gloires passées du violon. Malheureusement cette identité sonore mêlée à l’acoustique sèche de la grange ne favorise pas l’immersion dans la musique. On reste extérieur pendant toute la sonate de Brahms, sans réussir à faire corps avec le violoniste, et ce d’autant plus que la symbiose violon/piano n’est pas évidente. Le son fabriqué de Pritchin et le jeu tout en souplesse d’Emelyanychev, définissant un tapis de velours idéal pour l’épanouissement de l’instrument qu’il accompagne, se cherchent encore.

Les œuvres des Schumann s’avèrent plus convaincantes, et même de plus en plus prenantes à mesure que les mouvements s’enchainent. Insensiblement le violoniste fait évoluer son jeu vers davantage de phrasé de long terme, liant les phrases dans de grands arcs et dépensant toute son énergie dans la sonate de Robert, véritable marathon, à l’unisson d’un pianiste impétueux. En bis, l’« Andante » de la Deuxième Sonate pour clarinette (sic) et piano de Brahms achèvera de nous convaincre par son lyrisme doux et sincère.


Le voyage de Pierre a été pris en charge par le Festival de la Grange de Meslay.

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