Alors qu’il ne reste que deux saisons à Klaus Mäkelä en tant que directeur musical de l’Orchestre de Paris, les esprits joueurs commencent à parier sur l’identité de son successeur. La prestation magistrale de Roberto González-Monjas à la tête de la formation cette semaine a marqué les esprits du public de la Philharmonie, y compris des musiciens qui ont applaudit très chaleureusement le maestro à la fin du concert. De quoi donner quelques idées si cette collaboration était réitérée…

Il faut dire que la seconde partie du concert a produit un souffle lyrique irrésistible. Voyageant entre Vérone, Saint-Pétersbourg et Rome, le chef, qui dirige par cœur, impressionne par sa capacité à construire des interprétations de long terme, avec une battue aussi élégante qu’éloquente, tout en étant particulièrement précise.
Ainsi les différents thèmes de l'ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovski et leurs entremêlements suivent une logique à la fois intellectuelle et sensible qui unifie le tout dans une trajectoire aux atmosphères grisantes. L’attention aux transitions est révélatrice de l’attention que le chef apporte au détail, notamment le moment de flottement tout en velours aux violons et altos dans une nuance piano rare avant le retour du thème d’amour aux vents.
L’aisance et le naturel du chef espagnol font également merveille dans les quatre numéros des Pins de Rome de Respighi. L’énergie insouciante de la villa Borghèse, les lugubres catacombes, l’évanescence du Janicule puis le déferlement de la Voie appienne, dont le crescendo est admirablement géré par un chef qui en a encore sous le coude, sont l’occasion d’une satisfaction sans cesse renouvelée.
La première partie du concert se concentrait sur l’éternelle influence de Bach. Pas de chef pour son Double Concerto pour violon et hautbois, durant lequel Lisa Batiashvili et François Leleux sont accompagnés par un petit orchestre à cordes. On est frappé par la bonne humeur qui se dégage de la scène lors d’une interprétation désacralisée, tout en élans et en légèreté. À l’image du jeu de jambes du hautboïste, l’esprit danse, en immersion dans un contrepoint convivial. Le couple de solistes est attentif à ne pas prendre trop d’espace dans cette œuvre conversationnelle, chacun n’hésitant pas à se fondre dans l’orchestre pour laisser l’autre s’exprimer.
On reconnait un organiste à son humilité lors de son entrée en scène. Thierry Escaich ne fait pas exception à la règle, se faufilant jusqu’au massif clavier de l’orgue depuis une porte dérobée pendant le changement de plateau qui permet d’enchaîner avec son propre Double Concerto pour violon et hautbois… après une improvisation en solo qui achève la filiation avec le Cantor de Leipzig. L’organiste structure son impulsion créatrice en différents thèmes (on en compte trois ce soir : un premier déclamatoire, un second davantage rythmique et un troisième plus choral), sous-tendus par un accompagnement harmonique qui fourmille souvent au gré des intensités sonores. Si toute la palette de timbres de l’instrument est convoquée, on apprécie que l’improvisation du soir ne sature jamais l’espace sonore. Il ne s’agit pas d’un gigantesque crescendo pour impressionner de puissance, mais bien d’une pensée structurée qui respire.
Sur la fin des huit minutes d'improvisation (comme indiqué sur le programme), le chef et les solistes font leur entrée pour le concerto à venir, enchaîné immédiatement, comme émergeant des dernières notes de l’orgue. Si une certaine détente enivrait les solistes dans l’œuvre de Bach, leur concentration est palpable dans la partition d’Escaich. En tant que créateurs, Lisa Batiashvili et François Leleux connaissent parfaitement l’œuvre : ils ne se reposent pas pour autant sur leurs lauriers, investissant à fond le kaléidoscope d’ambiances et de caractères de la pièce.
Le public parisien connait bien la subtilité et l’engagement du jeu de Lisa Batiashvili, produite cette saison pas moins de quatre fois rien qu’à la Philharmonie. Il est moins familier de l’extraordinaire hautbois de François Leleux, dont on regrette les apparitions plus épisodiques dans l’Hexagone. Sa technique superlative lui permet de transformer son instrument tantôt en piccolo tantôt en trombone, et ses forte les plus résolus ne sont jamais écrasés par un quelconque timbre forcé. Le duo confirme sa complémentarité musicale avant de livrer en bis un arrangement inattendu de l’air de Pamina « Ach, ich fühl's », dédié au hautboïste Victor Aviat, décédé prématurément.
Sur le podium, Roberto González-Monjas domine la partition sans difficulté apparente. Jamais pris en défaut, il donne tous les départs de manière très claire au sein de ces pages rythmiquement exigeantes, tout en amenant les changements d’atmosphères qui caractérisent les trois mouvements enchainés du concerto. Un chef à réinviter d’urgence !