Ce dernier week-end de septembre, la Villette est en effervescence. Tandis que la Grande Halle accueille le salon de dégustation Whisky Live Paris, la Philharmonie organise une série de concerts dédiés à la musique chorale. Après l'ivresse des spiritueux, place à l'introspection du spirituel : en conclusion de la journée de samedi, l'ensemble Pygmalion propose un programme consacré à la musique sacrée des compositeurs ayant participé à la formation du grand Johann Sebastian Bach – famille éloignée, mentors et contemporains.
Coutumier des rapprochements musicaux éclairants, Raphaël Pichon est à l’origine de cette soirée appelée « Veillée ». Tout concourt à la pertinence de ce nom. L’horaire relativement tardif annonce la couleur, tandis le choix de la « petite » Salle des concerts de la Cité de la musique permet de retrouver une certaine intimité proche du cadre domestique. Les spots lumineux, jamais complètement éteints, en recouvrent le plafond d’une nuée d’étoiles. Enfin l’effectif restreint du chœur et de l’orchestre Pygmalion se serait perdu sur le plateau de la grande salle Pierre Boulez alors qu’il profite ici d’une estrade aux dimensions idoines.
Une flûte, deux violons, deux violes, un violoncelle, un basson, une contrebasse, une harpe, un théorbe, un clavecin et un orgue : les douze musiciens du concert sont certes peu nombreux, mais révèlent un potentiel expressif épatant. Le quatuor des deux violes, du violoncelle et de la contrebasse qui ouvre la première pièce du concert, « Nun ist alles überwunden » d’Adam Drese, définit un climat de sérénité qui impose de lui-même une écoute absolue. L’ensemble peut également verser dans un veine plus lyrique, à l’image du solo de violon de Sophie Gent dans « Auf, lasst uns den Herren loben » de Johann Michael Bach, éminemment vivant grâce à un phrasé souple et un vibrato parcimonieux, dansant sur l’élan rythmique du continuo. Dans le registre de l’intime, citons également les quelques moments épurés où la harpe et le théorbe accompagnent l'un ou l'autre les parties chantées de leurs arpèges fluides et doux.
Il existe divers enregistrements des pièces interprétées ce soir, le plus souvent avec un effectif choral plus conséquent que les dix chanteurs présents ce soir : on admire le geste artistique cohérent de Raphaël Pichon. Tous compagnons de route de Pygmalion depuis longtemps, le plus souvent en tant que solistes, les artistes se fondent naturellement dans le moule intimiste d’un programme alternant des pièces solistes et des morceaux collectifs. La prononciation est toujours précise, parfaitement synchrone lorsqu’ils chantent à plusieurs : la consonne finale de « Nacht » ou « Tod » est si nette qu’on croit entendre une unique voix. Lors des interventions solistes, chaque chanteur sait garder une sobriété d’émission qui accroît l’éloquence et la puissance de la musique.

Cette humilité produit des miracles lors des numéros collectifs. Le trio de William Shelton, Antonin Rondepierre et Zachary Wilder pendant « Herr, wende dich und sei mir gnädig » de Johann Christoph Bach est un exemple de choix : les trois chanteurs font montre d’un sens de la narration fascinant lorsqu’ils se répondent en canon, avant de trouver une homogénéité troublante de perfection jusque dans certaines paroles murmurées. La perception sonore est parfois complètement déroutée par cette cohésion : ainsi pendant « Es ist nun aus mit meinem Leben » de Johann Christoph Bach, alors qu’une partie du chœur est montée au premier balcon et que l’autre moitié est restée sur scène, on n’arrive pas clairement à distinguer la provenance de chaque partie.
Le concert se termine avec la première cantate de Bach, « Nach dir, Herr, verlanget mich ». Après tout le chemin parcouru, cette musique s’éclaire en partie des extraits précédents, notamment du point de vue du texte et de l’instrumentarium. Mais la filiation ne fait pas tout : dès la sinfonia introductive, l’oreille est captivée d’une nouvelle manière, prise dans le jaillissement contrapuntique caractéristique. Les chœurs sont ensuite des moments d’épiphanie musicale, pendant lesquels on est subjugué par toute l’activité sur scène. Il y a véritablement un génie de Johann Sebastian qui dépasse ses prédécesseurs.