Pour l'ouverture de sa saison danse, le Théâtre des Champs-Élysées a choisi un double programme : en première partie, Germaine Acogny, grande chorégraphe et interprète âgée aujourd’hui de 81 ans, rend hommage à Joséphine Baker, cent ans après la première apparition de celle-ci sur la célèbre scène de l'avenue Montaigne. En seconde partie, 45 danseurs du continent africain interprètent Le Sacre du printemps dans la chorégraphie de Pina Bausch créée il y a cinquante ans. Une soirée unique qui rappelle l’histoire du Théâtre et l’histoire de la danse par ces grandes femmes chorégraphes.

Joséphine est un solo interprété par Germaine Acogny qui a pensé sa chorégraphie avec Alesandra Seutin. Audacieux pari de rendre hommage à la vedette de music-hall en étant seule sur la grande scène du Théâtre des Champs-Élysées ! À la mise en scène et à la dramaturgie, Mikaël Serre a disposé un cadre lumineux qui rappelle tout à fait le vestiaire du music-hall. Germaine Acogny a souhaité montrer son lien avec Joséphine Baker dans son corps de femme noire et africaine. Par moments, elle la représente et l'imite : dans son peignoir rose ou se déhanchant en faisant bouger une ceinture qui bruisse. Ce sont les passages les plus réussis de ce solo qui évoque les images les plus marquantes de Joséphine Baker.
Dans l’ensemble, la chorégraphie est assez intériorisée. On voit que Germaine Acogny a travaillé sur les vibrations et la connexion avec Joséphine Baker, mais les mouvements lents et les marches peinent à convaincre et à donner un rythme à ce solo finalement assez contemplatif, loin de l’énergie rayonnante de l'artiste éponyme.
On assiste plutôt à un spectacle documentaire, mais assez sage et doux. Germaine Acogny s’attache à une statuette, la poupée Ashanti, symbole de fertilité et puissance de la création, qui rappelle la figure de Joséphine Baker. Elle la place face à elle ou la tient comme une arme, semblant dialoguer avec la danseuse disparue. Cette intimité partagée est touchante mais ne suffit pas à construire un ballet tout entier. La réception de ce solo serait sûrement tout autre dans une petite salle proche du public, mais la distance installée ici entre la grande scène et les spectateurs crée un écart entre l'intimité sur scène et la froideur du vaste théâtre à l’italienne.
L’entracte donne à voir ensuite un véritable ballet : des containers sont amenés, les régisseurs recouvrent la scène de terre battue, élément central de la scénographie de Rolf Borzik pour la chorégraphie de Pina Bausch du Sacre du printemps.
En 1975, Joséphine Baker meurt et Pina Bausch compose son ballet sur la musique de Stravinsky qui avait fait scandale en 1913 au Théâtre des Champs-Élysées. C’est à l’époque Vaslav Nijinski qui avait chorégraphié le ballet, inattendu et choquant par ses sauts et pieds en-dedans. 62 ans après, Le Sacre de Pina Bausch a été écrit pour sa compagnie le Tanztheater de Wuppertal et se compose de deux groupes hommes et femmes qui participent au sacrifice de l’Élue.
La chorégraphie est d’une grande physicalité, les bras se jettent, les danseurs courent et sautent jusqu’à épuisement. Ce soir, l’interprétation est confiée à 45 danseurs de 13 pays du continent africain, à l’initiative de la Fondation Pina Bausch. Une démarche qui va tout à fait dans le sens de ce que recherchait Pina Bausch qui invitait ses danseurs, issus de pays bien différents, à trouver le mouvement juste selon leur histoire et leur corps.
Ce soir, la dynamique du groupe est prodigieuse. Les danseurs marquent à merveille les accents de la chorégraphie, en osmose avec la musique jouée par l’orchestre Les Siècles, avec Giancarlo Rizzi à la baguette. On entend le souffle des danseurs qui mettent tout leur cœur et toute leur énergie dans cette chorégraphie. C’est une reprise très réussie grâce à une dynamique et une interprétation très justes, en témoigne l’épuisement des danseurs à la fin du spectacle, éreintés d’avoir dansé à en perdre haleine. L’Élue, celle qui doit revêtir la robe rouge pour le sacrifice, est prodigieuse : son regard effrayé et fasciné guide sa danse d’une grande puissance. L’ovation du public sera à la hauteur de ce spectacle total.