Cela faisait des années que Casse-Noisette n’avait pas été dansé à l’Opéra de Paris. La saison en cours sous l’égide de José Martinez mettant à l’affiche un très grand nombre de ballets classiques, cette reprise s’imposait donc. Ballet de Noël par excellence, Casse-Noisette ne constitue néanmoins pas un rendez-vous traditionnellement féerique pour le public parisien tant la version de Rudolf Noureev interprétée par l’Opéra de Paris est loin de la magie enfantine de la plupart des chorégraphies dansées à l’étranger. Le ballet n’en demeure pas moins un exercice de style exigeant pour les solistes, auquel peuvent s’essayer les jeunes talents de la troupe, car les deux rôles principaux de Clara et du Prince nécessitent une interprétation juvénile. Le duo formé par Paul Marque, jeune danseur étoile à la virtuosité délicate, et par la plus jeune encore et tout aussi talentueuse Inès McIntosh, nommée première danseuse quelques semaines auparavant, était très attendu. Malgré quelques petites appréhensions dans les portés, la jeune ballerine a su montrer une technique éclatante, une grâce suspendue et une véritable affirmation scénique. Une artiste en pleine éclosion, à suivre dans les prochaines années !

Casse-Noisette est un conte de Noël racontant l’histoire féerique d’une enfant, Clara, qui s’endort sous le sapin lors la veillée de Noël et voit en songe le casse-noisette qu’elle a reçu en cadeau se transformer en prince charmant, affronter une foule de rats et la transporter dans le royaume des Délices où se déroulent un théâtre de variétés exotiques, la fameuse Valse des fleurs et un grand bal fastueux. La version conçue par Rudolf Noureev en 1985 évacue la part de merveilleux du conte pour proposer plutôt une interprétation psychanalytique : dans un fantasme malaisant, Clara transpose le visage de son vieil oncle Drosselmeyer dans son casse-noisette prince charmant et ce sont ses proches (parents, grands-parents et petits camarades) qui peuplent ses rêves plutôt que des personnages de conte de fée.
Un ballet pour adultes donc, et pour adultes des années 1980, car la thèse de l’obsession incestueuse de la jeune fille pour un vieil homme boiteux étonne, pour le moins, en 2023. Faut-il que l’Opéra de Paris s’en tienne systématiquement aux versions Noureev pour ses classiques ou ne serait-ce pas le moment de dépoussiérer certains d’entre eux, que ce soit ce Casse-Noisette au propos embarrassant ou une Cendrillon à la mise en scène datée ? Le ballet est de plus un véritable embrouillamini musical, avec des chorégraphies volontairement alambiquées et difficilement accessibles au public novice qui vient s’émerveiller de Casse-Noisette, telles que la variation de la Fée Dragée (interprétée par Clara, dans cette version) conçue en deux temps sur une partition ternaire.
Il n’en reste pas moins un plaisir réel à voir une nouvelle génération d’artistes prendre leurs marques sur ces rôles taillés pour de jeunes interprètes. Le couple formé par Inès McIntosh et Paul Marque est extrêmement harmonieux et musical, tous les deux présentent une technique française raffinée, une grâce aérienne et du lyrisme dans les ports-de-bras. Encore un peu verts dans les portés, ils transmettent néanmoins leur aisance et leur plaisir de danser pour notre plus grand bonheur.
On retiendra également dans les rôles secondaires la jeune Luna Peigné, qui interprète le rôle de Luisa et la Danse espagnole avec savoir-faire et une très belle virtuosité dans les tours, ainsi qu’Elizabeth Partington, si précise dans la Pastorale (ou Danse des mirlitons). On reste plus mitigée sur l’interprétation du corps de ballet masculin, aux ensembles imparfaits et hésitants, ce qui saute aux yeux d’autant plus que ceux formés par les élèves de l’École de Danse sont bien plus coordonnés. Sans être transportée par la féerie de Noël, on ressort tout de même avec quelques étoiles dans les yeux et une véritable envie de retrouver sur scène ces jeunes talents lors des prochains rendez-vous classiques.