À travers une soirée mixte néo-classique dont le fil rouge se revendique une « évocation des racines », l’Opéra de Paris déroule à Bastille, jusqu'à début novembre, un programme varié composé d’une pièce des années 1950 de Balanchine ainsi que deux créations récentes – et d’intérêt disparate – des chorégraphes Mthuthuzeli November et Christopher Wheeldon.

Pour commencer, Thème et Variations (1947) est l’une des multiples pièces de Balanchine figurant au répertoire de l’Opéra de Paris. On y retrouve le plus pur style néo-classique balanchinien : partition de Tchaïkovski, costumes académiques et couronnes scintillantes, absence de décor hormis deux lustres cristallins, chorégraphie à la fois technique et fluide.
Deux solistes, Valentine Colasante et Paul Marque, ouvrent le bal par une grande marche, le corps de ballet à leur suite. L’amorce du ballet est immédiatement exigeante, avec un difficile temps de pointes et une série de tours raccourcis pour la danseuse, et des pirouettes développées pour le danseur. Valentine Colasante, très en forme, suspend de longs équilibres avec facilité et sourire. Cette première de Thème et Variations, très maîtrisée, est un beau moment de virtuosité porté par l’assurance de Valentine Colasante, étoile que l’on sait expérimentée sur ce registre de danse, et qui entraine dans son sillage un corps de ballet musical et précis – notamment Camille Bon, aux temps de pointes impeccables, ou Claire Teisseyre, aux bras délicatement flottants.
On change de registre avec Rhapsodies (2024) du chorégraphe sud-africain Mthuthuzeli November sur des tubes de Gershwin (joliment interprétés par le pianiste Louis Lancien). Un rectangle de lumière dessine une porte par laquelle une danseuse, en robe fluide, rejoint son partenaire sur scène. Un pas-de-deux léger s’esquisse, gracieusement dansé par Letizia Galloni, mais dont les mouvements semblent déjà vus. Un groupe d’hommes et un groupe de femmes, vêtus de costumes marron, les rejoignent, sans qu’on comprenne précisément leur rôle dans cette pièce qui tourne autour du couple.
La chorégraphie, peu remarquable, multiplie les emprunts sans queue ni tête : on retrouve des développés lyriques à la Balanchine, du néo-classique de source indistincte, mais aussi des références de music-hall caricaturées de Robbins, qui swinguait lui aussi sur Gershwin. L’ensemble final, qui enchaine une saccade de ports de bras ouverts-fermés, semblant à une brasse-coulée, suivi d’un piétinement sur pointes terminé la tête jetée en arrière, manque franchement de subtilité.
Dans un décor antiquisant et pourtant d’une grande abstraction, suivant les plus purs préceptes scénographiques d’un Bob Wilson, on découvre des danseurs en costumes blancs ornés de rubans noirs, sur une toile de fond de couleur unie où quelques faisceaux de lumière évoquent des colonnes grecques. Créée en 2018 pour le London Royal Ballet, sur une partition de Leonard Bernstein, la fresque néo-classique esthétique de Corybantic Games signée Christopher Wheeldon fait son entrée à l’Opéra de Paris.
Cinq tableaux romantiques se succèdent, décrivant l’amour sous toutes ses formes, que poursuivent les personnages des Corybantes, épris de la déesse Cybèle. Dans la pénombre nocturne, les corps ondulent et jaillissent, et forment de beaux ports de bras géométriques. Une jeune femme, gracieusement interprétée par Hohyun Kang, traverse la scène en faisant onduler ses bras en opposition avec ses jambes, un chapelet de nymphes soupirent dans des poses féminines, les hommes se coulent dans des torsions langoureuses.
Dans un Presto sportif, la danseuse Inès McIntosh fait une entrée fracassante avec un triple tour piqué, et une sortie qui l’est tout autant, projetée par son partenaire dans les airs jusqu’à la coulisse. Sur une scène nimbée d’un bleu nuit, trois couples s’entrecroisent (deux femmes, deux hommes, et un couple mixte). Une lumière superbement travaillée par Peter Mumford vient progressivement dorer leurs visages, comme si l’aube se levait sur ce moment d’intimité délicat. Enfin, entre en scène le personnage qu’on suppose celui de Cybèle – dansé par une Roxane Stojanov qui manque un peu de vitesse pour ce répertoire virevoltant – et qui entraine les Corybantes dans un final tournoyant où les corps s’entremêlent et se projettent en arrière dans de grands portés, comme s’ils voulaient sortir de scène.