Sol Gabetta saisit le public de la Halle aux grains avec une présence immédiate et impressionnante. Dès la première mesure du Schelomo d'Ernest Bloch, la violoncelliste trouve le chemin qui parle à l’âme. L’Orchestre National du Capitole de Toulouse joue le décalage, l'étrangeté, la dissemblance et même parfois le bizarre, comme si deux mondes s’affrontaient. Quand la soliste se tait et que les cordes emmenées par Tarmo Peltokoski prennent le chant, c’est dans un lyrisme éperdu, presque doloriste. Les sommets sonores où l’orchestre explose finissent bien par retomber, mais nous laissent encore vibrants et émus. Il y a quelque chose de triste qui sourd de la musique, un vague à l’âme qui nous imprègne durablement – il n’a rien de vain, rien de cette « vanitas vanitatum » de l'Ecclésiaste, pourtant prétexte littéraire de l'œuvre.

Tarmo Peltokoski dirige l'Orchestre National du Capitole de Toulouse © Romain Alcaraz
Tarmo Peltokoski dirige l'Orchestre National du Capitole de Toulouse
© Romain Alcaraz

Le concert avait débuté avec le Prélude à l’après-midi d’un faune. Stéphane Mallarmé aimait beaucoup la musique que Debussy composa sur son poème. Il écrivit qu’elle allait « bien plus loin, vraiment, dans la nostalgie et dans la lumière, avec finesse, avec malaise, avec richesse… » Petit détour à la source, avec cet extrait choisi au milieu du poème ; en quelques alexandrins, on saisit tout à la fois la finesse de l’articulation, le malaise que provoquent certains mots, et la richesse du langage :
« Je t’adore, courroux des vierges, ô délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :
Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide
Que délaisse à la fois une innocence, humide
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs. »

La finesse et la richesse, la nostalgie et la lumière sont bien présentes ce soir. Mais où donc est le malaise ? Le feu dionysiaque ? Peltokoski joue la réminiscence plus que la concupiscence, le réveil assoupi plus que l’amortissement des excès. Cela ne retire rien à la qualité de la réalisation : dès les premières notes de Mélisande Daudet à la flûte – vibration discrète, nuances et souplesse –, on est épris de beauté. Le tempo très retenu surfe avec la décomposition des phrases mais en évite l’écueil. Les rares moments où un rythme affleure captent l’attention. Les harmonies délicates sont rendues à la perfection, dans une atmosphère étale. Trop étale en somme.

Avec ce poème symphonique, comme avec la Première Symphonie de Mahler qui constitue le morceau de résistance de la soirée, on touche du doigt ce qui se dessine comme la signature sonore de Peltokoski : ce qui est lent est étiré. Ce qui est rapide est survolté. Ce qui est pianissimo est à la limite de l’audible. Ce qui est fortissimo éclate sans entrave. Ainsi, les premières mesures de la symphonie sont-elles susurrées par des cordes presque diaphanes. Les bois en contraste émergent trop fort, presque nus. Le célèbre début du troisième mouvement étonne, peu engagé, presque plat, mais c’est pour nous conduire dans un crescendo magistral. Magistral aussi est le dernier mouvement, libéré, traversé par un souffle, porté par des accents marqués qui ressortent avec naturel malgré un tempo soutenu. Le thème lent est de toute beauté, intense, prenant, puis nous sommes à nouveau emportés par les vagues puissantes de l’orchestre déchaîné.

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