En pleine recrudescence du Covid-19, l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise et son directeur musical Daniel Harding ont bravé les frontières et présenté au public luxembourgeois un effectif fourni et sans distanciation particulière, comme ces violons qui sont à deux pour un même pupitre... Bienvenue dans le « monde d’hier » ! L'expression chère à Stefan Zweig, grand admirateur de Gustav Mahler, est d'autant plus appropriée que c’est un programme entièrement dédié au compositeur autrichien qui est proposé, et qui donne l’occasion d’entendre un orchestre soudé et appliqué, accompagnateur souple et attentif des deux solistes du soir, Christian Gerhaher et Johanna Wallroth.

Daniel Harding et l'Orchestre symphonique de la Radio suédoise dans la Philharmonie du Luxembourg © Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille
Daniel Harding et l'Orchestre symphonique de la Radio suédoise dans la Philharmonie du Luxembourg
© Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille

Le rare Blumine, mouvement initialement composé pour la Symphonie nº 1 mais retiré par le compositeur en raison de la longueur jugée excessive de l’œuvre, est inséré au milieu d’extraits du Des Knaben Wunderhorn. L’orchestre montre ici l’importance de la dimension collective, plus que la distinction de personnalités : la fusion des timbres et l’homogénéité de l’ensemble priment. Choix délibéré ou pas, les noms des musiciens ne figurent pas dans le programme. Impossible donc de féliciter ad nominem le trompettiste pour son solo inaugural du mouvement symphonique. Tout juste aura-t-on reconnu la chevelure rebelle du hautboïste français Emmanuel Laville, bouleversant dans le solo du dernier lied, Urlicht. Sans accroc aucun dans les attaques, et dans un impressionnant élan collectif, les cordes suédoises ont tout pour plaire : suaves, équilibrées, parfaitement ensemble dans les glissements d’octaves et justes dans les suraigus avec un vibrato homogène. Daniel Harding roule sur de l’or, qu’il transforme instantanément en diamant.

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Christian Gerhaher
© Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille

Son geste, qui rappelle par bien des aspects son mentor Claudio Abbado (souplesse du poignet, raffinement de la battue), permet à l’orchestre de se sentir en confiance et d’accompagner avec beaucoup d’intelligence le baryton Christian Gerhaher dans ces lieder orchestraux. Cette musique particulière qui passe instantanément du rire aux larmes, de la naïveté à la gravité la plus profonde, appelle une réactivité de tous les instants : le tant apprécié Urlicht, aux teintes mystiques, est rejoint par Wo die schönen Trompeten blasen d’une troublante noirceur ainsi que Revelge est ses fameux « Tralali, Tralala » appuyés par un marcato puissant aux cordes. Très attentif au texte et à son intelligibilité, Gerhaher ne perd pas sa musicalité et se permet même d’audacieux et délicieux pianissimos dans les aigus. Tout ceci sonne juste et ne manque pas de caractère. Harding distille subtilement ce qui sera confirmé après l’entracte dans la Symphonie nº 4, où le chef défend une vision mahlérienne qui refuse tout sensationnalisme, d’une louable rigueur et d’un sens aigu des dynamiques orchestrales.

Cela commence par les choix des tempos, déterminants dans cette symphonie. On note l'allure légèrement retenue tout au long du premier mouvement, mais c’est surtout le tempo du dernier mouvement qui interpelle. La soprano va-t-elle pouvoir tenir le rythme modéré, d’autant que Harding prend le parti de ralentir petit à petit, laissant entrevoir les portes d’un paradis doux et songeur qui s’installe avec une tranquille sérénité ? Johanna Wallroth tient bon, avec une voix libérée de toute aspérité, et si celle-ci paraît manquer par endroit d’ouverture, la soprano offre, comme son collègue, une attention remarquable au texte.

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Daniel Harding et l'Orchestre symphonique de la Radio suédoise dans la Philharmonie du Luxembourg
© Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille

Côté orchestre, on admire une fois de plus la cohésion où écoute mutuelle et discipline règnent en maîtres absolus, encouragées par Harding qui privilégie la continuité du chant et des transitions à la rupture des sonorités et des contrastes. Ceci laisse entrevoir néanmoins une limite : la petite harmonie, par crainte de trop se démarquer, semble parfois en retrait. Les solistes peinent à s’imposer face à des cordes soudées derrière l’incomparable Malin Broman, violon solo aux mille facettes, aussi convaincante dans les grincements du deuxième mouvement que pour emmener avec passion mais sans surjeu ses collègues sur les cimes mahlériennes du Ruhevoll central.

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