Pour la septième étape de leur tournée européenne, Daniel Harding et l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise donnaient à la Philharmonie de Paris un programme post-romantique prometteur... qui s’est finalement révélé décevant à plus d’un titre.
Le déroute commence en première partie de concert avec les Rückert-Lieder de Gustav Mahler, recueil de cinq pièces au clair-obscur typique du compositeur, notamment dans la dernière, Ich bin der Welt abhanden gekommen. Malheureusement, dans ce lied méditatif comme dans les quatre précédents, le tempo employé par Daniel Harding est d’une rapidité défavorable à la moindre immersion, à la moindre suspension. Pourquoi expédier avec tant d’empressement le rêveur Ich atmet’ einen linden Duft ? L’auditeur, à qui l’on vend le doux parfum d’une branche de tilleul, n’en voit pas le moindre bourgeon, n'en respire pas la moindre fragrance.
On ne comptera pas sur Christian Gerhaher pour apporter plus d’aménité et de couleurs aux vers de Friedrich Rückert. Guidé ce soir par le seul principe de l’expressivité, quitte à se montrer assez imprécis quant à la justesse de son chant, le baryton fait montre d’un caractère démonstratif sans grand rapport avec l’intimité du texte, et frôlant parfois la caricature par son incarnation inutilement grimaçante. La dureté du timbre et le tranchant de la diction auront toutefois le mérite de s’accorder à cette conception quelque peu brutaliste et monochrome du lied mahlérien.
Si la célébrissime introduction d’Ainsi parlait Zarathoustra offrait les plus vives espérances quant à la réussite de la seconde partie de concert, les huit parties enchaînées – qui constituent à proprement parler le corps du poème symphonique de Richard Strauss – tournent vite à la déconfiture. La lecture objective et prosaïque de Daniel Harding ne favorisant pas la dimension métaphysique de l’œuvre, pourtant riche en conflits sous-jacents et en antagonismes philosophiques, la lourdeur et l’épaisseur du trait gagnent sur le foisonnement, l’élan et l’énergie vitale. En témoigne ce Tanzlied à gros sabots sans distance, sans ironie. Zarathoustra ne parle plus mais assène, braille, et de fait nous laisse extérieur à ses bavardages.
Les opus symphoniques de Richard Strauss sont ainsi conçus que même sans vision convaincante au pupitre, l’auditeur peut s’enivrer des splendeurs d’une écriture orchestrale qui se suffit à elle-même. Malheureusement ce soir, le public ne recevra pas même ce prix de consolation de la part de l’orchestre suédois, pourtant réputé comme l’une des plus belles phalanges européennes. Tandis que la sècheresse de la matière sonore et le déficit d’expressivité des cordes entravent les entrelacs lyriques du quatuor dans De ceux des arrière-mondes, le Chant du voyageur de la nuit est rendu désagréablement long par les timbres acides de la petite harmonie.
Plus globalement, on regrette que les musiciens ne parviennent pas à manifester de véritable caractère, à trouver une palette de couleurs suffisamment large pour procurer cette impression que toute la production du compositeur est en fait contenue en germes dans cette partition : la sensualité du Chevalier à la rose et la bouffonnerie du baron Ochs, les éclats de Salomé ou d’Elektra, jusqu’aux thrènes de Métamorphoses. L’encéphalogramme restera toutefois trop plat et la précision des musiciens approximative. Heureusement, la section de cuivres – au sein de laquelle on retrouve une figure bien connue des mélomanes parisiens, Alexandre Baty, à la trompette – donnera, par son éclat sans vulgarité, quelques motifs de satisfaction.
En définitive, c’est à la spécialité suédoise servie en entame de soirée que l’auditeur se raccrochera plus sûrement pour trouver un peu de réconfort au sortir du concert. Exploitant ce que les paysages maritimes du royaume scandinave offrent de plus spectaculaire, de plus changeant, de plus varié, Hugo Alfvén signa en 1904 le poème symphonique En Skärgårdssägen : en vingt minutes organiques, les motifs aquatique se développent, portés par les flux et reflux incessants, entraînant l’auditeur, alors sous le joug des éléments, au cœur même des skerries. Moins impressionniste que son contemporain finlandais Jean Sibelius, travaillant moins par touche que par aplat, Alfvén parvient néanmoins à peindre une marine très évocatrice sans la manière scolaire d’un simple paysagiste. Aussi on n’hésitera pas à se plonger plus avant dans le riche corpus symphonique de ce compositeur encore trop méconnu.