Opéra seria de Haendel créé en 1724, Giulio Cesare in Egitto est un dramma per musica en trois actes qui s'inspire de faits ayant eu lieu en 48 av. J.-C. Au sommet de sa gloire, l’imperator, qui a défait son dernier adversaire Pompée, se trouve de nouveau pris des intrigues égyptiennes. Haendel et son librettiste Nicola Francesco Haym en font un portrait politico-moral reprenant le poncif de la supériorité du Romain sur le Barbare. Pour cinq dates, l'Opéra national du Capitole de Toulouse prend sa part d'une coproduction créée en 2022 et portée par une quantités d'institutions (Théâtre des Champs-Elysées, Oper Leipzig, Opéra national de Montpellier et Teatro dell’Opera di Roma).

La représentation livre un beau plateau pour une belle musique, mais la mise en scène de Damiano Michieletto s'avère plus poussive. Décors (Paolo Fantin) et costumes (Agostino Cavalca) sont tous modernes, d’une architecture blanche muséale avec des pans qui s’ouvrent ponctuellement. Les personnages plus excentriques comme Ptolémée et Cléopâtre reçoivent plus de couleurs et de brillant là où les caractères dotés d’une meilleure moralité portent le costume aristocratique – par exemple le trois pièces pour Jules César avec cravate rouge ou une robe foncée pour la veuve Cornélie.
Les trois divinités de la destinée (Moires/Parques) traversent régulièrement le fond de scène, voire passent au premier plan pour se mêler au monde des hommes. Si leur physionomie régressive intrigue (nudité, cheveux longs et têtes de squelettes), elles apportent un peu de dynamisme à l’ensemble et permettent de mettre en avant le fantôme de Pompée qui sert de leitmotiv à la pièce, venant interagir avec sa famille. Lorsque celui-ci se fige en statue blanche tenant l'épée et le globe, il vient défier le regard de César, suivant une symbolique morale déjà livrée par les auteurs antiques.
Cette mise en scène universalisante souffre tout de même de certaines lourdeurs : dans ce cadre moderne général, on comprend mal la subsistance d’éléments égyptisants ou romanisants. Le collier en perle et scarabée bleu partagé par Cléopâtre et Ptolémée était-il nécessaire ? Les sept romains en toges colorées, armés de poignards qui préfigurent l’assassinat de César (en 44 av. J.-C., donc hors livret) et qui apparaissent à trois reprises sur scène pour poursuivre l’imperator, étaient-ils obligés ?
Certes la production affiche un choix de figurer un César prisonnier de son destin, avec quelques ficelles rouges dressées par les Parques à l'acte I, puis un pétard de fils colorés qui réveillera une partie de l’assistance qui commençait à piquer du nez en fin de première partie, mais cela vire aux « grosses ficelles » dans les actes II et III. La divergence entre le livret et la proposition scénique est trop importante, d’autant plus que tout le monde sait que César mourra assassiné par la suite…
En revanche, le niveau musical des Talens lyriques et du plateau donne grande satisfaction. La direction de Christophe Rousset soigne parfaitement la musique de Haendel. Bien équilibrées avec les chanteurs, les sonorités individuelles du violon ou du cor ressortent avec bonheur de la fosse à mi-hauteur, dans un Théâtre du Capitole où les petits orchestres de musique ancienne ont parfois du mal à sonner.
Dans le rôle-titre, Rose Naggar-Tremblay propose un Jules César fade, mettant davantage l’accent sur de riches ornementations et vocalises plutôt que sur la puissance que l’on attendrait d’un tel personnage. Les arias en solo restent tout de même bien maîtrisées, en particulier lorsque César échappe au naufrage de son vaisseau. Claudia Pavone livre une Cléopâtre subtile et attachante, dont on sent la romanisation vocalement, qui s’affirme de plus en plus mais reste limitée par la faiblesse de son binôme romain.
Ptolémée est davantage travaillé dans sa gestuelle : dans ce rôle de frère de Cléopâtre, Nils Wanderer rentre dans le parfait personnage du barbare lubrique, cruel et maniéré, sacrifiant un peu en force vocale, mais donnant un peu de comique à la pièce. Mais c’est le couple d’Irina Sherazadishvili (Cornélie) et de Key’mon Murrah (Sextus) qui reflète le mieux toute l’émotion contenue dans cette pièce, avec pour les deux une présence scénique et vocale parfaitement maîtrisée qui livre avec subtilité toute la palette d’affects que les personnages traversent (désespoir, colère, désir de vengeance, humilité, etc.). In fine, les Romains s’imposent, donc l’essentiel y est !