Bien qu’il n’ait pas complètement tenu la promesse faite à sa femme Constance de lui écrire une messe, Mozart a tout de même livré avec sa Grande Messe inachevée en ut mineur l’une des plus importantes œuvres sacrées de son catalogue. L'ouvrage entraîne l’auditeur à travers treize numéros et près d’une heure de musique, sur cinq étapes du chemin eucharistique : purifié par le repentir du Kyrie eleison, le fidèle peut chanter les louanges du Gloria, avant de professer sa foi par un Credo trinitaire et de proclamer trois fois saint le « Deus Sabaoth » du Sanctus ; il conclura, exalté, ce chemin liturgique par l’acclamation « Osanna in excelsis » du Benedictus. On en convient : ainsi résumée, cette Messe rappelle un peu trop l’inconfort des bancs d’église. Il revient donc à Leonardo García Alarcón et à l’Orchestre Philharmonique de Radio France d’incarner avec suffisamment de conviction l’inspiration mozartienne pour que communient les âmes présentes ce soir en la paroisse de la Maison de la radio.

Si les archets des violons, effleurant à peine les cordes dans une caricature de pianississimo, font naître quelques grincements en guise d’introduction, l’arrivée de l’harmonie trois mesures plus loin nous place sur des rails plus convaincants. Pris avec une lenteur solennelle et propice à rappeler le poids des péchés que l’homme porte sur ses épaules, le Kyrie s’étend de façon quelque peu dramatique mais pas déplaisante : après tout, il faut bien rendre vivant le latin du Missel romain. Du côté du Chœur de Radio France, la clarté n’est pas exemplaire et le caractère, que l’on attendrait plutôt terrestre et humain, laisse place à une évanescence céleste assez floue, mais la ferveur et la conviction sont au rendez-vous. En revanche, l’arrivée sur scène de la soprano, depuis les places d’orchestre, nimbée de la lumière d’un projecteur, fait basculer ce Kyrie dans le théâtre. Malgré cette entrée de diva, Marie Lys déçoit tant par son manque de phrasé et que par son incarnation sclérosée, plus béate que convaincue.
Le Gloria confirme ensuite ces premières impressions, tant sur l'excessive théâtralisation de la forme que sur le manque d’incarnation du fond. Sur la forme tout d’abord : l’éclairage variable singeant par son intensité les dynamiques musicales piano ou forte, la levée des trombonistes dans les passages les plus énergiques, les entrées et sorties systématiques des chanteurs, la déclamation a cappella sur une estrade des premiers vers du Gloria et du Credo respectivement par le ténor et la basse (cela se fait parfois, notamment avec Gardiner, mais cela s’ajoute ce soir au reste), sont autant d’éléments superflus ou discordants dont on aurait préféré se passer tant ils détournent de l’émotion.
Sur le fond ensuite : la baguette de Leonardo García Alarcón est sûre mais, faute d’équilibre sonore entre voix et instruments, faute de cohérence entre les morceaux, elle ne parvient pas à faire pénétrer la lumière ni à rendre limpide l’architecture – effaçant au passage l’influence de Bach, malgré la fibre baroqueuse du chef argentin. Pourtant, le Philhar’ montre de belles choses, notamment dans les cuivres – naturels en ce qui concerne cors et trompettes, de facture ancienne pour les trombones – qui, perçant aisément les tuttis, apportent de la texture aux masses et blocs uniformes.
Marie Lys et Deepa Johnny passent également à côté de leur Messe : la première par la pâleur de son incarnation, notamment dans l’Et incarnatus est, à l’inverse de l’inopportun déploiement de préciosités de la seconde, dès son Laudamus te, rendant déséquilibré leur duo du Domine Deus. Dommage car, du point de vue purement vocal, les deux sopranos valent mieux que cela ; d’ailleurs, le trio qu’elles forment avec le ténor Mark Milhofer dans le Quoniam se révèle de meilleure tenue et éclaire enfin les réminiscences du cantor de Leipzig. De même, la courte apparition d’Edward Grint aura permis d’apprécier sa basse riche et fondue dans le Benedictus. Ce n’est malheureusement pas suffisant pour humidifier les canaux lacrymaux ni faire s’élever les cœurs, et l’énergie déployée par les protagonistes à théâtraliser le sacré n’aura finalement conduit qu’à rendre cette Messe bien quelconque.