Une passacaille en guise d’adieu, voilà par quel coup de maître Johannes Brahms tire, en 1885, sa révérence au genre symphonique. Parvenu à s’affranchir de l’ombre intimidante de Beethoven au terme d’une longue et douloureuse gestation, le compositeur achève sa Quatrième Symphonie par cette fresque, brodée autour d’une cellule de huit mesures empruntées à Bach. Les dodécaphonistes ne s’y tromperont pas : la forme ancienne, transcendée, regarde bel et bien vers l’avenir. On se demande, hélas, vers où se porte le regard de la Staatskapelle de Dresde et de sa Kapellmeisterin intérimaire Marie Jacquot – suppléant au désistement du Chefdirigent Christian Thielemann. En dépit d’étonnants accents belliqueux, de sforzandos musclés, d’un incongru rallentendo sur le solo de flûte, la cheffe ne s’abandonne pas ; de la trentaine de variations qui constitue ce finale peinent à émerger l’élan grandissant et l’irrésistible urgence du souffle, parfois extatique, à même de faire oublier l'architecture du mouvement. La fameuse passacaille n’est ce soir qu’une forme, dans ce qu’elle a de plus abstrait et désincarné, venant parachever un concert mitigé avenue Montaigne.

La déception avait commencé avec le Don Juan de Richard Strauss qui, ouvrant la soirée sous les auspices de l’opacité orchestrale, n'est parvenu que difficilement à immerger le public dans le tourbillon de pulsions, de charge et de décharge, de flux et de reflux que suscite ce grand rondo. Peut-être parce que le compositeur bavarois est inscrit dans son ADN, la phalange saxonne paraît bien machinale, d’une épaisseur sans profondeur, d’un automatisme trop blasé pour révéler toutes les subtilités de la partition. Les musiciens passent à côté de l’enjeu : rendre audible l’inouï foisonnement des timbres, le traitement ciselé des masses, sans nuire pour autant à la narration qui sous-tend cet opéra miniature. La transparence, déjà compromise par l’acoustique un peu lointaine du Théâtre des Champs-Élysées, est en outre étouffée par une surexposition des cordes au détriment des bois, achevant de doucher les fulgurances du poème.
C’est que Marie Jacquot peine de son côté à insuffler le panache teinté de désolation caractéristique de cette course à l’abîme, les couleurs étincelantes qui virent au noir en un instant, leurs éclats ambigus et tourmentés, reflets de l’esprit torturé des vers de Nikolaus Lenau dont s’inspire le compositeur. Cette lecture monolithique reste sagement à la surface et, à l’instar de ces cors plus solennels que conquérants, ne convoque ni l’urgence ni l’impériosité nécessaires à l’exaltation des émotions. On se demande qui peut bien tomber sous le charme d’un si pâle séducteur !
Second volet du diptyque consacré aux poèmes symphoniques de Strauss, Till l’Espiègle se montre plus théâtral et inspiré que son prédécesseur. Malgré un léger essoufflement dans les péripéties du malicieux fripon, la cheffe imprègne d’intentions son discours qui gagne autant en pertinence qu’en rebondissements : du prologue à l’épilogue, en passant par le jugement du protagoniste, le public est plongé dans un vieux cartoon alerte et rythmé, riche en drame comme en humour. On apprécie alors que l’univers sonore créé par la cheffe demeure léger et désinvolte, à l’image de ce personnage aussi insolent qu’impertinent.
L’auditeur nage dans une tragicomédie qu’aucune véritable noirceur ne viendra voiler. L’épure avec laquelle le compositeur, alors en pleine maîtrise de sa palette, élabore sa partition semble également mieux convenir à la Staatskapelle qui trouve un second souffle et une virtuosité indispensable aux vives turbulences du saltimbanque. Les prises de parole solistes, calligraphiées avec une juste expressivité – notamment par la petite clarinette, délicieuse d’agilité et de facétie – finissent d’emporter l’adhésion.
Le plaisir ne sera toutefois pas renouvelé après l’entracte puisque l’on retrouve la Quatrième Symphonie de Brahms, plongée dans cette abstraction qui culminera avec la passacaille. Approche sans souplesse de la direction, pâte orchestrale sans transparence, phrases sèches et décousues : les contrechants et couleurs pastel si typiques de Brahms avaient déjà disparu dans le deuxième mouvement Andante moderato au profit d’une verticalité prosaïque et désincarnée, tandis que le balancement avait été vite contraint dans l’Allegro introductif. La proposition laisse de marbre. Seule exception : le troisième mouvement Allegro giocoso et son magistral contrepoint qui, déroulé avec fluidité, entraîne finalement dans les remous de son mouvement perpétuel.