Narration tarabiscotée, histoires de familles aux nombreuses ramifications, patronymes multiples et surnoms en tchèque : autant dire que l’on peut vite se perdre dans les méandres de la très farfelue Affaire Makropoulos. Pas Richard Brunel, directeur de l’Opéra National de Lyon, qui propose une nouvelle production brillant par sa limpidité : l’opéra de Leoš Janáček redevient, simplement, une double enquête. La première consiste à démêler la vieille querelle d’héritage qui oppose les Prus aux Gregor, l’autre, en filigrane, à découvrir qui se cache derrière la célèbre cantatrice Emilia Marty. Pas si compliqué finalement !

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L'Affaire Makropoulos à l'Opéra de Lyon
© Jean-Louis Fernandez

Conçu par Bruno de Lavenère, un décor unique habille les trois actes : accessoires noirs, murs sombres, costumes sobres, tout est fait pour rendre lisible l’espace scénique que Richard Brunel répartit en duplex ; un escalier mobile laisse aux protagonistes le loisir de relier les deux niveaux, et quelques portes leurs permettent de quitter la scène. La plupart du temps plus proche du remplissage visuel que de la nécessité dramatique (les hors-champs étant souvent très statiques), pas désagréable mais superflu, ce double plan a néanmoins le mérite de rendre visible ce qui est suggéré par l’action mais occulté par le livret. En ce sens, le procédé se montrera parfois judicieux : par exemple lorsque Jaroslav Prus constate le vol de ses documents, ou lorsque son fils Janek, las des humiliations paternelles, se passe la corde au cou.

La gestion des accessoires clefs du drame se révèle plus pertinente : mobiles, ils traversent la scène de part en part avec fluidité pour se venir se placer à portée de main des personnages. Canapé, piano, commodes et miroirs de loges vont et viennent en toute simplicité, sans surlignage, sans lourdeur ! Ces éléments sont en outre les ressorts essentiels à la proposition de Richard Brunel qui profite de l’ouverture pour exposer une Emilia Marty soudainement atone : de rage, elle fracasse un miroir cerné d’ampoules.

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L'Affaire Makropoulos à l'Opéra de Lyon
© Jean-Louis Fernandez

Le metteur en scène retombera sur ses pattes dans le finale en réintégrant le miroir fêlé qui renverra l’image d’une cantatrice expirante : on comprend alors que c’est la perte de sa voix qui conduit la femme de 337 ans, fourbue, à sa ruine. Pourquoi pas. D’ailleurs, pour mieux sceller son destin, c’est elle qui prendra la décision de brûler la formule de son élixir dans un piano en feu. La réinterprétation se tient mais reste assez anecdotique. Privé de cet acte expiatoire, le personnage de Krista ne manque toutefois pas d’intérêt, de même que ces trois petits vieux aux dégaines impayables qui, surgissant du passé avec un Hauk-Šendorf haut en couleur, viennent hanter leur ancienne amante.

Cette production efficace à défaut d'être très percutante laisserait le spectateur indifférent si elle n’était investie par un plateau scéniquement exemplaire ! Vocalement, la troupe se montre également plutôt convaincante. Dans le rôle exigeant d’Emilia Marty, Aušrinė Stundytė met pourtant quelque temps à chauffer sa voix, à trouver la netteté et la précision qui participent à l’irrévérence souveraine de son personnage dans l’acte I. La soprano, parvenant tout de même à se libérer et affiner son émission, naviguera ensuite à travers les tourments de la partition avec une souplesse aussi fragile qu’émouvante.

Aušrinė Stundytė (Emilia Marty) © Jean-Louis Fernandez
Aušrinė Stundytė (Emilia Marty)
© Jean-Louis Fernandez

Le charisme de Tómas Tómasson lui permet de camper un Jaroslav Prus à la carrure impérieuse, dont la profondeur vocale ne refoule pas quelques inflexions expressives – après sa déconvenue nocturne ou apprenant la mort de son fils. On aurait pu attendre un Albert Gregor plus acéré et incisif que celui de Denys Pivnitskyi, mais la rondeur du timbre du ténor apporte un caractère touchant à ce grand sentimental. Le Vítek de Paul Curievici et le Kolenatý de Károly Szemerédy font, quant à eux, la paire : le premier manque un peu de truculence dans ses premières interventions, mais l’agilité de son ténor contraste à merveille l’imposante basse du second.

L’Orchestre de l’Opéra de Lyon se révèle quant à lui sous son meilleur jour. Alerte, vive, expressive, la phalange fait surgir les couleurs dans la noirceur du décor. À sa tête, Alexander Joel assume les aspérités de la partition, ses angles droits, sans pour autant se montrer mécanique : sa baguette tend la ligne tout en maintenant une souplesse théâtrale. La précision et la nervosité ne tomberont jamais dans le chirurgical, le froid ou l’analytique, et la musique charriera pleinement son flot d’émotion.


Le déplacement d'Erwan a été pris en charge par l'Opéra national de Lyon.

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