Le Teatro alla Scala propose cette saison une nouvelle production de La Rondine, trente ans après son dernier passage sur les planches milanaises et cent ans après la disparition de Giacomo Puccini. Créée en 1917, La Rondine est un opéra peu représenté de nos jours, écrit par Puccini à la fin de sa vie avant ses deux dernières œuvres Il trittico et l'inachevé Turandot. L'œuvre met en scène Magda de Civry qui, le temps d'une bagatelle, essaye d'échapper à sa condition de femme du monde et à son protecteur Rambaldo, ce aux dépens du jeune Ruggero qu'elle finit par abandonner. L'amour est donc, sans originalité, au cœur des préoccupations même si personne ne meurt ici contrairement à La Traviata ! La mise en scène est ici confiée à Irina Brook qui tente une actualisation légère en se focalisant sur le point de vue de Magda et sur la typologie des relations entre hommes et femmes.

<i>La Rondine</i> alla Scala &copy; Brescia e Amisano / Teatro alla Scala
La Rondine alla Scala
© Brescia e Amisano / Teatro alla Scala

La scène ouverte accueille le spectateur et l’ouverture débute sur une sorte de répétition menée par la danseuse Anna Olkhovaya, que l’on voit de prime abord comme une projection d’Irina Brook, puis qui va rapidement devenir la manifestation de la psychè de Madga : chacun y verra alors la metteuse en scène qui se perd dans les affects du personnage principal, ou le personnage se perdant lui-même dans les multiples rôles qu’elle choisit de jouer en société, en conflit avec son rêve mélancolique.

Exception faite de cet apport qui ne fait pas partie du livret et d'une fin raccourcie, les choix restent très classiques. Les costumes de Patrick Kinmonth allient habilement le côté très coloré du monde du cabaret, les traits habituels de l’aristocratie parisienne et les vêtements blancs de la côte d’Azur du début du siècle dernier. Les décors nous font voyager dans un Paris également usuel, alliant efficacement un plateau central, qui oscille entre pavillon Baltard et intérieur de cabaret, et des fonds évolutifs. Les lumières de Marco Filibeck viennent discrètement apporter un peu de bigarrure à l’ensemble, surtout aux actes II et III.

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La Rondine alla Scala
© Brescia e Amisano / Teatro alla Scala

L’orchestre de Riccardo Chailly est très coloré et chaque timbre est précieusement soigné en fonction de l’émotion qui se dégage sur scène : après des ouvertures très cuivrées, on passe facilement à une atmosphère très douce avec des cordes très lissées. Le seul défaut sans doute est que la plupart des chanteurs, sur les parties récitatives ou moins importantes, sont parfois couverts par la musique – fut-elle délicate. La chorégraphie de Paul Pui Wo Lee reste également très classique même si elle contribue à amener un peu de frénésie sur scène. Le Coro del Teatro est dans la même veine, séparant nettement voix d’hommes et de femmes, avec peu de jeu scénique.

On ne peut que constater la qualité de cette production riche d’artistes venus de tous horizons, qui de surcroît inclut également des chanteurs formés ou encore en formation de cycle supérieur à la Scala ainsi que de nombreuses individualités issues du chœur du Teatro. Mariangela Sicilia livre une Magda rayonnante et complète : douce et peureuse au départ, passant dans des suraigus tenus magiques se perdant dans les cordes (notamment dans le fameux « Chi il bel sogno di Doretta »), elle termine magistralement la pièce avec des réminiscences mélodiques dos tourné, quittant définitivement son amant. Matteo Lippi est introverti comme il se doit en Ruggero et se révèle dans le troisième acte, explosant en beaux forte vibrants pour exposer ses sentiments d’amour puis de peine.

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La Rondine alla Scala
© Brescia e Amisano / Teatro alla Scala

Giovanni Sala (le poète Prunier) est faible vocalement sur ses débuts mais très maniéré sur scène – Pygmalion volontairement quelque peu ridicule, ce qui déçoit dans le premier acte compte tenu de son rôle dans le lancement de la rêverie. Sur le plan vocal, il montre toutefois ses capacités par la suite. Rosalia Cid (Lisette) livre des moments puissants et il est dommage que la mise en scène ne la valorise pas davantage. Manipulée par Prunier, elle semble tout de même tout à fait au clair de ce qu’elle fait et ressemble plus au valet ridiculisant le maître qu’à une simple grisette. Dans le rôle du vieil aristocrate Rambaldo, Pietro Spagnoli est stable et respectueux, sans excès. Enfin, le trio formé par Aleksandrina Mihaylova (Yvette), Martina Russomanno (Bianca) et Andrea Niño (Suzy) est de bon aloi vocalement et théâtralement, ce qui apporte un peu de comique dans l’acte I.

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