C’est un très beau cadeau que l’Opéra de Lausanne dépose sous le sapin avec ce Songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten. Une production créée à l’Opéra de Lille en 2022 et que Claude Cortese a eu la bonne idée de reprendre pour sa première saison. Troquer l’habituelle opérette de fin d’année pour ce chef-d’œuvre onirique et féérique du XXe siècle, et encore jamais joué dans l’opéra de la capitale vaudoise.

Avec un brio quasiment inégalé dans le monde lyrique pour des adaptations d’après des pièces de théâtre, Britten récupère toute la théâtralité shakespearienne de l’ouvrage d’origine. Il n’en fallait pas plus au metteur en scène Laurent Pelly pour monter cette œuvre comme une pièce de théâtre. C’est qu’il connait son Shakespeare par cœur, puisque cette production d’opéra est littéralement la copie de la mise en scène de la pièce éponyme qu’il avait montée avec succès en 2014, alors directeur de l’actuel Théâtre de la Cité à Toulouse. Sont donc conservés de très bons réflexes, et comme souvent quand ça marche à l’opéra, on peut dire qu’ici, du côté des chanteurs, ça joue bien, ça joue même très bien. La distribution vocale est ici sensationnelle en tête desquels l’Obéron et la Tytania de Christopher Lowrey et Marie-Eve Munger, elle aux aigus d’une finesse remarquable (quoiqu’un peu acide sur ses médiums), et lui aux impeccables nuances toujours vers les pianos, comme un rêve qui passe. Le Lysandre de Michael Porter nous charme par sa projection et son vaillant timbre de ténor. Le reste de la nombreuse distribution est également de haut vol pour ce rêve qui, vocalement, dépasse l’entendement.
Dans une nuit onirique, créée au travers d'un plateau entièrement noir et épuré de tout décor superflu excepté d’un trône en forme de lune et de deux lits dortoirs, éclairé de quelques douilles suspendues et des douches de lumière nécessaires à l’action, se succèdent les trois intrigues : les deux couples qui se défont et se refont grâce à un philtre d’amour ; les artisans-comédiens gauches et amateurs qui préparent un spectacle pour le Duc ; et au-dessus de tout ce beau monde, Obéron, Tytania, Puck et leur garde féérique rapprochée qui tirent les ficelles et s’amusent des mortels. Dans cet espace dédié à l’imaginaire, on goûte à nouveau, et avec des étoiles dans les yeux, à l’art des tirages et des vols : toute cette machinerie qui consiste sur le plateau et depuis les coulisses à tirer, comme par magie, un accessoire ou un costume en un clin d‘œil ou à faire voler des comédiens. À la fin, c’est une vingtaine de machinistes qui viendront saluer !
Car ce spectacle, dans la filiation de son aîné, l’intemporel Songe mis en scène par Robert Carsen en 1991 et ensuite au Festival d’Aix-en-Provence, joue avant tout la carte de l’enchantement. Le merveilleux est partout, et Guillaume Tourniaire dans la fosse l’a très bien compris en développant l’univers de Britten avec un art savant de l’arachnologie, tissant entre elles les influences autant que les textures de l’ouvrage. Il révèle à l’Orchestre de Chambre de Lausanne des couleurs et des timbres qu’on ne lui entend que rarement : lui aussi joue la féérie, notamment dans les scènes autour d’Obéron et de Tytania. Lors de scènes liées aux amants, il construit une véritable tension où l’on sent sourdre un drame, voire une tragédie humaine, développant les basses et des continuos aux cordes créant un suspens qui révèle par là même toute la violence de ce procédé d’échange des amants sous l’effet du philtre répandu par l’indomptable Puck. C’est aussi l’ouverture nocturne et épaisse de l’acte II, dans la brume des violoncelles, ou la fin du même acte, malaisant, à l’endormissement des amants. Quoique parfois en léger décalage avec la fosse, la Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne menée par Francine Acolas est digne d’une grande maison d’opéra quant à l’engagement et à la justesse.
Est-ce la poule ou l’œuf ? Mais tant du côté de la musique que de la mise en scène, il nous manquera cependant une couleur plus lumineuse et dynamique concernant les différents passages des artisans, véritable bouffonnerie dans la pièce, ici d’un comique par moments convenu, car comme dérythmé. Drame d’un côté, féérie de l’autre, il manque presque une troisième patte à ce tabouret pour que le conte soit parfait. La Puck de Faith Prendergast est certes virtuose dans cette idée de Mime Marceau très volubile et loquace, mais son jeu très appuyé et presque caricatural relève davantage des codes de la comédie musicale que de l’incarnation habile et enjouée de ce malin shakespearien. Modestes réserves pour une soirée qui, disons-le d’emblée, tourne véritablement la page des années Eric Vigier et rehausse à l’évidence, d’un coup d’enchantement, le niveau de l’institution lausannoise. Pourvu que ça dure !