Douche froide. Dès les premières notes, alors que l’on a encore dans l’oreille les rythmes enivrants de l’ouverture Carnaval de Dvořák que vient de donner l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, Truls Mørk chante l’inchantable. Le violoncelliste embarque le public de la Halle aux grains dans le sombre lyrisme du Deuxième Concerto de Chostakovitch. Dans ce premier mouvement, l'œuvre n’a de concerto que le nom ; ce n’est pas un dialogue, c’est un marécage de cordes empli de brouillard sur lequel glisse une lente cadence rhapsodique. Au milieu du mouvement, intervient ce changement radical d’ambiance introduit par le xylophone. La partition s’agite, la cécité laisse la place à une angoisse étouffante, jusqu’à la grosse caisse qui assomme le violoncelliste de ses coups rageurs. Hyper concentré sur chaque seconde de la partition, Truls Mørk subit, sourcils froncés. Puis il se relève et jette des pizzicati rageurs. Le Largo s’éteint dans un murmure où l’archet effleure les cordes, comme parvenu à son dernier souffle.

Truls Mørk © Johs Boe
Truls Mørk
© Johs Boe

Il nous faut bien ces quelques applaudissements maladroits, vite étouffés, pour sortir du gouffre où Chostakovitch nous a plongés. Puis vient l’Allegretto : qu’ils soient en groupe ou en solo, les instruments emmenés par le chef Petr Popelka dialoguent enfin avec le soliste. Mais c’est pour lâcher leurs phrases ; je te jette mes sons, je t’en renvoie, et schlack, et vlan, ça fuse. Les musiciens jouent, mais ils ne rigolent pas. À nouveau, le banc des percussions fait merveille. Le tambourin puis la caisse claire offrent à Truls Mørk une grande variété de nuances sur lesquelles il s’épanouit. Dans les rares moments où le violoncelle se tait, l’orchestre est d’une parfaite homogénéité de timbres et d’attaques, comme par exemple au centre du dernier mouvement. Il n’y a pas de doute, l’ONCT est à son affaire dans Chostakovitch. Et que dire du Norvégien ! Il fait corps avec l’œuvre, qu’il a beaucoup jouée et enregistrée. Il est envahi par la musique, son investissement est démesuré, jusqu’aux ultimes pirouettes achevant le concerto.

L’entracte est l’occasion de se remémorer le Carnaval de Dvořák qui avait débuté le concert. Nous avons vu comment Petr Popelka prenait en main l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. À peine monté sur l’estrade il lançait les musiciens dans un galop frénétique. Avec son énergie charismatique, il tire, il pousse, il excite, il électrise ; il a encore tellement d’élan qu’à la fin il jette presque sa partition en la refermant. Voici donc l’homme qui prendra la direction musicale des Wiener Symphoniker dans quelques mois. Comme on les envie !

Le concert s’achève sur Roméo et Juliette de Prokofiev. Popelka a fait le choix d’emprunter des tableaux aux trois suites pour orchestre extraites du ballet, avec de belles intuitions. Par exemple, les trois premières pièces, issues de chacune des suites, évoquent toutes la fraîcheur : l’enchaînement de La rue s’éveille, Juliette jeune fille et Danse du matin est réjouissant. Et qu’importe si, plus loin, Juliette meurt avant Tybalt ! Qu’elles soient absurdes ou tragiques, les morts sont une source féconde : même dans les passages les plus tristes, on sent qu’une énergie, une tension parcourt l’orchestre. Et quand il le faut, nous avons notre dose de swing, d’excitation. La succession des tableaux met en valeur les solistes, particulièrement le violon solo de la lumineuse Jaewon Kim. Avec le recul, ces quarante minutes de musique ont formé un tout cohérent. Au diable le récit du ballet !

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