L’Orchestre Philharmonique de Radio France et les chefs violonistes, c'est l'histoire d’une affinité chronique. Mikko Frank, actuel directeur musical de la formation, a commencé par étudier le violon avant de se consacrer à la direction d'orchestre ; Jaap van Zweden, son futur successeur, fut violon solo de l’orchestre du Concertgebouw ; et voilà ce soir Leonidas Kavakos, illustre soliste international, partenaire récurrent du Philhar' tant au violon qu'à la direction.

Vilde Frang © Marco Borggreve
Vilde Frang
© Marco Borggreve

Puisque que l'on énumère des violonistes, complétons la liste avec Vilde Frang, autre habituée qui rejoint les musiciens dans le Concerto pour violon de Schumann. L'interprétation fascinante qu'elle en livre ne nous fait espérer qu’une chose : que l'artiste ne suive pas le chemin des noms cités précédemment et qu'elle continue de sidérer le public des salles de concert au violon ! Dès ses premiers accords, attaqués avec netteté sans vibrer mais sans laisser retomber le son, la violoniste interpelle et ne lâchera plus l’auditeur tant son art du développement de la phrase musicale est ensorcelant.

Tout au long de l’œuvre, ce ne sont que nuances superlatives (avec des pianissimos qui restent parfaitement audibles), attaques précises et variées (allant d’une corde mordue avec véhémence dans les gammes du premier mouvement aux rythmes sautillants et joyeux du Lebhaft conclusif, en passant par les caresses éthérées du Langsam central), et virtuosité prodigieuse. Quel violoniste ne serait pas envieux de la facilité avec laquelle les doubles croches se succèdent, flot limpide où l'artiste ménage un rubato subtil qui y instille une musicalité bienvenue, de la maîtrise de son qu'elle tire de sa corde de sol pendant le Langsam, ou encore de la gestion de la polyphonie complexe de l’écriture de Schumann ? Les octaves en doubles cordes du premier mouvement, dont les extrémités sont trillées à la tierce, sont à ce titre épatantes. Le bis signature de Vilde Frang, la Giga senza basso tirée de la Sonata en ré mineur de Stefano Montanari, achève de nous convaincre également quant à sa technique d’archet, qui cisèle la page en virevoltant.

S'il définit des atmosphères convaincantes tout au long de l'œuvre, avec un premier mouvement grave et un deuxième vaporeux puis dansant, l'accompagnement orchestral proposé par Leonidas Kavakos manque parfois de précision d’ensemble, donnant par moment une impression de mollesse. Une gestuelle plus précise et des attaques plus incisives auraient donné un allant plus sûr et entraînant, même dans partie vive du deuxième mouvement, et auraient apporté davantage de clarté dans l’écriture tout en décalages du mouvement lent. Musicalement cependant, l’entente est totale entre tous les protagonistes, à l'image d’un relai parfaitement géré entre la soliste et les premiers violons au cœur du Langsam.

Ces réserves quant à la précision de la direction d’orchestre s’évanouissent complètement pendant la Symphonie n° 3 de Beethoven. Kavakos la dirige par cœur, et semble plus à l’aise que dans l’exercice périlleux de l’accompagnement d'un soliste. À l’exception de quelques rares moments de déséquilibre sonore tirant vers le grave de l’orchestre, l’adhésion est totale. Tandis que l'on comprend la structure de l’œuvre en suivant les gestes du chef, faire attention à ses index révèle quelques éléments originaux rarement mis en valeur chez les instruments à vents : une attaque de cor, des mélismes de la petite harmonie, une note de trompette tenue timbrée avant d’être arrêtée nette… Transformée en intéressant jeu de dialogues entre les pupitres, cette Eroica est également un exemple de cohésion orchestrale. Sans qu’aucun instrumentiste ne tire la couverture à soi, le son jaillit de l’orchestre de manière particulièrement homogène.

Après avoir donné la saison passée une version de chambre énergique de cette même symphonie sous la baguette de Maxim Emelyanychev, le Philhar' retrouve ici un geste plus romantique, notamment dans une marche funèbre poignante à la progression exemplaire. Kavakos en exacerbe les sentiments avec une gestuelle ample, dirigeant parfois au poing mais toujours en souplesse, sans brutalité hors de propos. Le troisième mouvement met en valeur la précision du staccato d’orchestre au sein d’une multitude de plans sonores liés par un habile jeu de crescendos. On retrouve cette qualité de narration dans la forme en thème et variations qui conclut l’œuvre. Après une exposition en pizzicati prise très lentement, comme si le thème était improvisé sur le moment, les numéros s’enchainent avec évidence avec des variations de tempo convaincantes. Kavakos rejoint d'ailleurs Emelyanychev sur un détail : le choix bienvenu de confier la deuxième variation aux solistes des cordes, introduisant un effet de surprise au service d'une musique vivante.

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