La Chaise-Dieu se mérite. La ville la plus proche – Le Puy-en-Velay – est à plus de 40 kilomètres et les routes de Haute-Loire qui serpentent entre les monts du Livradois et du Velay incitent à la prudence plus qu'à la vitesse. On ne vient donc pas ici par hasard ; en 1966, le pianiste Georges Cziffra s'était entiché de la vaste Abbatiale Saint-Robert et avait décidé d'y donner des récitals pour aider à la restauration des grandes orgues en piteux état. 59 ans après, le Festival de La Chaise-Dieu continue d'attirer les foules par une programmation aussi dense qu'exigeante. Et comme un hommage aux fondateurs, c'est le grand orgue qui ouvre chaque concert de l'Abbatiale.

Julien Chauvin et le Concert de la Loge au Festival de La Chaise-Dieu © Bertrand Pichène
Julien Chauvin et le Concert de la Loge au Festival de La Chaise-Dieu
© Bertrand Pichène

Mozart et Vivaldi, ce sont les deux programmes proposés en deux jours par le Concert de la Loge et Julien Chauvin. Un peu facile, non ? Et si précisément c'était tout le contraire de la démagogie que de donner des « tubes » si connus qu'ils ont longtemps été absents des salles de concert, comme les Quatre Saisons de Vivaldi ? Heureusement une nouvelle génération d'interprètes s'en est emparée, à commencer par Julien Chauvin et ses musiciens qui ont conquis le public de plusieurs festivals avec leur version dansée des Quatre Saisons.

Aujourd'hui ce n'est que pure musique. Mais le violoniste réserve une surprise : au lieu du Printemps des Quatre Saisons que tout le monde attend, il ouvre le concert avec la violoncelliste Hanna Salzenstein dans un double concerto de Vivaldi, tout empreint de teintes automnales, en accord avec la météo fraîche et pluvieuse du jour. Puis on y est, c'est Le Printemps – un murmure de satisfaction parcourt la vaste nef de l'abbatiale ! – et c'est instantanément la marque de Julien Chauvin et de ses musiciens : le chant d'abord, le chant surtout, sans les sécheresses d'ensembles qui, à trop vouloir faire « authentique », dénudent, décharnent la musique.

Le violon solo ne renonce à aucune imitation des chants d'oiseaux, des bruits de la nature que Vivaldi a semés dans sa partition mais on vérifie, une fois encore au long de ces Quatre Saisons, l'élégance, la virtuosité, la fluidité du discours qu'on avait déjà remarquées chez Julien Chauvin, sans les tics de certains « baroqueux ». Claudio Scimone, l'un des pionniers de la redécouverte de Vivaldi au XXe siècle, rappelait que les tempos chez Vivaldi étaient uniquement fonction d'un rapport au chant : « Si vous pouvez chanter ce que vous jouez, vous êtes dans le tempo giusto, si vous ne le pouvez pas, c'est que vous jouez trop vite.. ou trop lent ». Une recommandation que Julien Chauvin a faite sienne. Hanna Salzenstein revient s'intercaler entre L'Été et L'Automne, pour un autre double concerto où cette fois le violoncelle a la part belle, tant en termes de virtuosité que d'expression.

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Julien Chauvin, Hanna Salzenstein et le Concert de la Loge au Festival de La Chaise-Dieu
© Bertrand Pichène

La veille au soir, c'est une copieuse affiche tout Mozart qui mobilisait Le Concert de la Loge, La Sportelle – un ensemble choral issu du Festival de Rocamadour – et quatre solistes. Une ouverture des Noces de Figaro pour se mettre en jambes – où, comme une marque de fabrique maison, on ne confond pas vitesse et vivacité – puis avec un effectif limité de 14 cordes, une Symphonie « Jupiter » qui ne manquera pourtant ni de puissance ni d'allure. Libre de tout carcan interprétatif, Julien Chauvin privilégie le chant, la pulsion vitale, les affects – il y en tant chez Mozart ! La dernière symphonie bénéficie pleinement de cette lecture cursive, qui rend justice à ces mouvements de l'âme que Mozart concentre comme jamais. Les tempos des mouvements médians sont prestes mais pas brusques et le Concert de la Loge se couvre de gloire dans la complexité de la fugue à cinq voix du finale.

Mais la pièce de résistance est à venir après l'entracte : la « Grande Messe » en ut mineur K427 qui ne répond à aucune commande, si ce n'est celle que son cœur suggère à Mozart après que, selon la légende, sa compagne Constance a échappé à un destin funeste. Dans une partition souvent redoutable pour les instrumentistes, les choristes comme les solistes, Julien Chauvin reste fidèle à sa manière et laisse chanter, respirer la musique, dénouant l'écheveau des passages les plus complexes.

On admire la cohésion, la clarté des quatorze chanteurs de La Sportelle, surtout dans les passages à double chœur où ils font discrètement mouvement autour de l'orchestre. En revanche, le quatuor soliste est un peu déséquilibré. Il l'est déjà dans l'écriture puisque Mozart réserve la part du lion à ses deux solistes féminines. On est gâté ce soir par la superbe complémentarité de Mélissa Petit et Eva Zaïcik, mais on n'entend malheureusement quasiment pas le ténor Antonin Rondepierre, au contraire de la basse Nahuel di Pierro qui pousse les décibels dans le seul passage final – le « Benedictus » – où le quatuor vocal est rassemblé. Il faudrait pouvoir citer tous les musiciens du Concert de la Loge, singulièrement les bois si fruités particulièrement sollicités par Mozart dans le sublime « Et incarnatus est ».


Le voyage de Jean-Pierre a été pris en charge par le Festival de La Chaise-Dieu.

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