Qu'il est bon (et rare) de sortir d'une soirée d'opéra la tête et le cœur en fête ! C'était le sentiment partagé par les spectateurs de la première d'une nouvelle production de Don Giovanni, donnée dans l'écrin idéal du petit théâtre à l'italienne de l'Athénée-Louis Jouvet, plein jusqu'au paradis. 

Connaissant le parcours de Julien Chauvin et de son Concert de la Loge, on se doutait que ce projet ne manquerait ni de substance ni de surprises. Première surprise pour le public visiblement rajeuni : les musiciens sont déjà installés sur le plateau et non dans la fosse, répartis en plusieurs groupes, les vents au fond, le quatuor en quatre parts, le pianoforte du continuo à droite derrière les violoncelles. Au milieu deux tabourets : l'un où, de son violon, Julien Chauvin va diriger l'ensemble, dos au public ; l'autre, juste à côté, où viendront occasionnellement s'asseoir les protagonistes de l'ouvrage.

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Don Giovanni au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
© Simon Gosselin

Quasiment pas de décors. Sur la gauche, un escalier rejoint une passerelle en surplomb, parfois masquée d'un rideau blanc ou noir. Pendant tout l'opéra, les personnages passeront d'un espace à l'autre, au milieu des musiciens qui deviennent eux-mêmes des personnages par intermittence. La simplicité de ce dispositif, qui va permettre à la production portée par l’Arcal de tourner dans plusieurs théâtres de la région parisienne et de province, n'est pas synonyme de pauvreté de moyens. Bien au contraire ! L'ingéniosité de la scénographie, la qualité des lumières, les costumes intemporels de Claudia Jenatsch vont servir une mise en scène exemplaire et une distribution exceptionnelle.

On a certes cru, au tout début, avant même les premiers accords tragiques de l'ouverture, en voyant arriver un type dépenaillé – Leporello – se grattant la tête, se postant au-devant de la scène, le regard dans le vide, qu'on allait subir une « revisitation » d'un Don Giovanni qui en a déjà tant vu. Et puis non, Jean-Yves Ruf s'abstient de plaquer ses fantasmes sur l'implacable et géniale mécanique du duo Mozart-Da Ponte, et prend le parti de restituer chaque rôle, chaque personnage dans sa vérité, toute sa vérité, rien que sa vérité, par une direction d'acteurs aussi rigoureuse qu'inspirée. On a rarement vu un Don Giovanni aussi lisible, compréhensible. À charge pour le spectateur, novice ou mélomane, de se faire sa propre opinion, d'entrer en résonance avec ce qu'il entend et voit. Comme une évidence !

<i>Don Giovanni</i> au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet &copy; Simon Gosselin
Don Giovanni au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
© Simon Gosselin

Le programme nous dit que les chanteurs, tous français, ont été choisis parmi 480 candidats, et que leur moyenne d'âge est de 30 ans. Là encore, on n'a pas le souvenir d'avoir entendu un cast aussi remarquablement distribué, avec des personnalités et des tempéraments vocaux aussi parfaitement appariés à leurs rôles. Adrien Fournaison fait un Leporello roué et poltron à souhait, auquel il manque peut-être un peu de réserves de puissance. En revanche, son maître Don Giovanni (Timothée Varon) a tout pour lui, la prestance physique et la sensualité, la voix ronde et chaleureuse, mais jouant à fond l'ambivalence dans son rapport avec les femmes, ni toujours détestable, ni toujours fanfaron, parfois émouvant.

Le Commandeur de Nathanaël Tavernier, lui aussi, évite le cliché du spectre à la voix sépulcrale. La confrontation entre Don Giovanni et lui lors de la scène finale n'en a que plus de relief – pas de happy end comme lors de la création à Prague en 1787, mais la fin abrupte de la version remaniée à Vienne un an plus tard*. Masetto n'est pas non plus le rustaud mal dégrossi, limite benêt, qu'on voit trop souvent dans le promis de la jeune Zerlina. La stature, la longue chevelure et le baryton puissant de Mathieu Gourlet impressionnent. Mais c'est sans doute avec Abel Zamora qu'on éprouve les plus belles émotions : le jeune ténor compose un Don Ottavio dont le tempérament contredit le physique frêle et romantique, il a déjà une science du chant mozartien, cette légère vibration dans une tessiture admirablement tenue. On n'est pas près d'oublier son miraculeux « Dalla sua pace ».

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Don Giovanni au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
© Simon Gosselin

Côté femmes, on ne sait à qui distribuer le plus de compliments : Margaux Poguet est Donna Elvira, concentré de fureur, de jalousie, et de volonté de vengeance. La voix a le corps, la couleur et la virtuosité d'un rôle que Mozart a truffé de difficultés, sans doute le plus éprouvant de tout l'ouvrage. Marianne Croux n'est pas moins convaincante en Donna Anna humiliée et blessée. La Zerlina de Michèle Bréant est tout simplement délicieuse, sans coquetterie inutile, vocalement irréprochable. 

Enfin c'est bien à Julien Chauvin et son orchestre en forme olympique qu'il faut tresser les louanges les plus vives. Le violoniste s'y révèle un authentique chef de théâtre, n'oubliant jamais qu'il s'agit d'un « dramma giocoso » et menant toutes ses troupes au triomphe.


* Comme Leporello se fait passer pour Don Giovanni au second acte, notre rédacteur a confondu les versions de Prague et Vienne dans une première version de l'article. Merci au lecteur attentif qui nous a signalé cette erreur ! [Note du 18 novembre, 16h50]

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