Le contre-ténor Philippe Jaroussky a toujours été friand de raretés. S’il a par exemple interprété et gravé au disque « Sperai vicino il lido » (extrait de Demofoonte de Gluck), « Misero pargoletto » (Demofoonte de Caldara) ou bien encore « Se mai senti spirarti sul volto » (La Clemenza di Tito de Caldara), ces titres sont bien au programme du soir, mais dans leur mise en musique par d’autres compositeurs. Le public montpelliérain, venu garnir très généreusement la salle de l’Opéra Comédie, bénéficie de la primeur de ces pages, qu’on s’étonne de voir tirées de l’oubli seulement en 2022 !

C’est Demofoonte dans la version de Johann Adolf Hasse qui ouvre les débats, son ouverture étant magnifiquement interprétée par Le Concert de la Loge. Les vingt musiciens dirigés par le premier violon de Julien Chauvin produisent un joli son, à la fois rond et dynamique, d’une musicalité sans faille et ponctué par de vigoureuses attaques aux cordes. Les deux premiers titres cités ci-dessus enchaînent, composés donc cette fois par Hasse, et nous font entendre certaines forces et faiblesses vocales. À l’actif de Philippe Jaroussky, le chant est toujours expressif et rend justice au texte, aussi bien pour les récitatifs que les airs, mais la partie inférieure du registre est parfois plus discrète, et quelque aigus et suraigus émis à pleine voix perdent en justesse de ton et en séduction.
L’interprète est à son meilleur au cours des passages élégiaques, développant une ligne vocale bien conduite et gérant des intervalles parfois vertigineux, qui le font puiser dans sa voix de poitrine. Après l’ouverture de Catone in Utica de Leonardo Leo, il a tout loisir de mettre ces qualités au service de l’air long et doux qui provient de La Clemenza di Tito du rare Michelangelo Valentini, un passage somptueux avec ses multiples reprises, où l’orchestre fait preuve d’une constante attention à l’égard du soliste chanteur. L’air bien plus agité qui suit (« Gemo in un punto e fremo », tiré de L’Olimpiade de Tommaso Traetta) accentue toutefois le contraste entre de très bonnes intentions interprétatives et un instrument limité en puissance dans sa partie grave et fragile dans l’extrême aigu.
On reste en compagnie de L’Olimpiade après l’entracte, comme un pied de nez aux menaces de poursuites judiciaires par le Comité National Olympique et Sportif en 2016, qui avaient fait abandonner son adjectif au Concert de la Loge Olympique… Il s’agit cette fois de la version d’Andrea Bernasconi, avec l’air « Siam navi all’onde algenti » dans lequel Philippe Jaroussky paraît avoir retrouvé la plénitude de ses moyens, en particulier une virtuosité davantage huilée et la précision de l’intonation. De Giovanni Battista Ferrandini, le passage doloriste « Gelido in ogni vena » qui lui succède confirme une bien plus grande maîtrise vocale, englobant une confortable longueur de souffle permettant de varier agréablement les reprises.
L’ouverture d’Ariodante de Haendel sera à vrai dire le seul passage déjà connu des amateurs – belles couleurs de l’orchestre et cohésion optimale de la formation –, avant un extrait d’Artaserse de Johann Christian Bach que Jaroussky développe avec élégance. Un autre Artaserse, celui de Niccolo Jommelli, conclut le programme avec l’air d’une extrême virtuosité « Fra cento affanni ». L’orchestre sait s’y faire vif-argent, mais sait aussi ralentir le tempo afin que le soliste passe sans encombre les multiples séries de vocalises, d’une vélocité diabolique.
Deux bis sont accordés, là encore en re-création mondiale semble-t-il. D’abord l’air « Sol può dir, come si trova » extrait d’Il re pastore de Gluck, dont il n’existe aucun enregistrement aux dires du contre-ténor. Pour terminer le concert, « Che legge spietata ! » de Piccinni est un air d’une modeste fureur. Malgré ces petites réserves, le verre est bien plus qu’à moitié plein à l’issue de l’écoute de ces airs heureusement tirés de l’oubli, dont il n’est pas interdit d’espérer un enregistrement à venir…
Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre National Montpellier.