Ce vendredi dans la Halle aux grains de Toulouse, on peut se dire que si Mendelssohn avait entendu Maxim Emelyanychev créer sa Symphonie « Réformation », il l’aurait peut-être davantage aimée. L'œuvre connut une genèse chaotique : pas prête pour le jour des 300 ans de la Confession d’Augsbourg, la partition fut refusée à Paris, jouée du bout des doigts à Berlin, puis abandonnée. De l’histoire d’une mort, on passe ce soir à l’histoire d’une résurrection.

Les séquences introductives posent un cadre clair, sage, mais tout change quand apparaît le fameux « Amen de Dresde », aujourd'hui associé au leitmotiv du Graal dans le Parsifal de Wagner alors qu'il était couramment chanté en Saxe au début du XIXe siècle… Quel décalage dans la perception ! Et quelle douceur dans le jeu de l’Orchestre du Capitole ! On fredonne et on monte tout de suite au ciel. Le développement qui suit nous ramène sur terre : dans l’énergie qu’il soulève, Emelyanychev trouve une symbiose, évite l’éparpillement.
Alors qu’il aurait pu lancer l’« Allegro vivace » qui suit comme une chasse à courre en scandant les valeurs pointées, Emelyanychev impose un geste large du bras, unifie une fois de plus, surfant sur cet équilibre tout en vitalité et grande ligne. Paradoxalement, il est davantage présent dans l’« Andante », arrachant à l’orchestre tout le suc de sa musicalité pour rendre vibrante la phrase lyrique assez simple de Mendelssohn. Et quand enfin résonne le choral luthérien « C’est un puissant rempart que notre Dieu », il libère le son : les accents verticaux triomphants sonnent pleinement, s’enchaînent à des fugatos jouissifs, puis l’hymne revient et la fin en apothéose nous convainc.
Juste avant, dans le concert, c’était une autre histoire. Qu'aurait pensé Mendelssohn du 23e Concerto pour piano de Mozart par Emelyanychev ? Le parti pris du musicien russe est de nous convier à une petite soirée entre amis, détendu, les jambes régulièrement croisées – ne manque qu’un cognac sur le Steinway. Entouré d’un ONCT en effectif resserré, le pianiste dirige du piano et joue tout le temps. Soit sa partie, soit une réduction de l’orchestre, soit la doublure d’une ligne instrumentale, soit une véritable improvisation au-dessus de l'orchestre.
Une main gauche émerge de temps en temps pour donner une battue. Parfois, cela fonctionne : sa partie émerge comme une suite naturelle de ce qui précède et l’on est embarqué. Parfois, notamment dans l’« Adagio », c’est étouffant. On rêve d’une alternance, d'une respiration, d’une pureté, quand on n’a qu’une continuité ininterrompue et quelques afféteries. Certes, l’idée est intéressante, l’invention est permanente, le jeu est magnifique – quel pianiste ! – mais in fine, on réalise que le pianiste s’est appuyé, presque reposé, sur l'orchestre qui a tout assuré, toujours donné le sens.
Heureusement, le concert avait magnifiquement débuté avec la création française de la Suite tirée de l’opéra Figaro Gets a Divorce d’Elena Langer, qu'Emelyanychev avait lui-même créée en 2020. Dans cette reprise contemporaine des Noces de Figaro de Mozart, on trouve un major révolutionnaire, le couple Almaviva qui avance et protège, le couple Chérubin-Suzanne qui se déchire. L’histoire est donc cul par-dessus tête.
Et la musique ? Elle captive de bout en bout, par ses changements d’atmosphère radicaux, ses explosions grimaçantes, son état de surprise permanente. Le riche banc des percussionnistes est sur-occupé, alternativement délicat et fondu dans la masse de l’orchestre, soutenant une dynamique ou totalement explosif. Aucun véritable solo dans les bois, les cuivres ou les cordes, mais ici et là un trait de trompette, de contrebasse, d’accordéon, de clarinette, quelques effets de masse aussi, captivent l’ouïe. Là encore, l’ONCT est impressionnant de maîtrise.