Radio France a eu la bonne idée (bien qu'un peu tardive) d'inviter comme artiste en résidence cette saison Emmanuel Pahud. Après le Premier Concerto de Mozart en guise d'entrée en matière en septembre, la création d'un concerto pour flûte d'un jeune compositeur canadien installé à Berlin était ce soir très attendue.

Celui qui a été nommé, à 22 ans, flûte solo des Berliner Philharmoniker s'est depuis toujours donné comme mission d'élargir le répertoire de son instrument, en commandant régulièrement des œuvres à ses contemporains compositeurs, toutes esthétiques confondues. Le propos de Samy Moussa est clair : « Mon concerto est tonal. Dans le premier mouvement les harmonies s'enchaînent de façon descendante, dans le second c'est l'inverse. Il n'y a pas d'histoire extra-musicale. » Il n'y a en effet pas grand chose à retenir des vingt minutes qui vont suivre. Les cinéphiles auront l'étrange impression d'entendre la bande-son d'un film d'Édouard Molinaro ou de l'un de ces feuilletons télévisés des années 70, voire l'illustration sonore d'albums photo de David Hamilton.
Emmanuel Pahud se tire sans difficulté d'une partie soliste qui fait alterner mélodies aériennes et cadences virtuoses. Le flûtiste récompensera le public, visiblement désarçonné par cette création si peu inspirée, par un bis qui, par comparaison, semblera un chef-d'œuvre : la Romance op. 37 de Camille Saint-Saëns, dont Pahud annonce que la partie d'orchestre a été retrouvée récemment à la Bibliothèque nationale de France.
L'œuvre de Samy Moussa prenait place dans un programme très composite et exigeant pour l'Orchestre National de France et son chef Fabien Gabel. Il s'ouvrait avec une rareté : la deuxième suite du ballet de Gabriel Pierné Cydalise et le Chèvre-pied, dont on ne connaissait que le formidable enregistrement réalisé il y a soixante ans par Jean Martinon... avec l'Orchestre National de France ! Si on connaît mieux Pierné comme chef d'orchestre et créateur de nombre de ses contemporains (Debussy, Milhaud, Enesco), on entend trop rarement ses compositions. C'est une musique très française de ton, qui lorgne du côté de Debussy pour la transparence des textures, du côté de Roussel pour l'énergie et l'opulence orchestrale.
La deuxième suite présentée ce soir convoque, sous la houlette du violon solo Luc Héry, un Orchestre National en grande formation. On y dénombre pas moins de six flûtes (dont trois petites). Serait-ce la raison de sa programmation dans un concert centré sur Emmanuel Pahud ? On sent que chef et musiciens avancent précautionneusement dans le fourmillement d'une partition où Pierné fait scintiller les vents en particulier. On aimerait une caractérisation plus poussée des épisodes amoureux entre le faune Styrax et la danseuse Cydalise, plus de souplesse aussi et une dimension chorégraphique plus affirmée de la part du chef.
Dans la seconde partie, on s'interroge sur la juxtaposition de Moussorgski et sa version originale d'Une nuit sur le mont Chauve – inspirée d'une nouvelle de Gogol, La Nuit de la Saint-Jean – avec la suite symphonique que Richard Strauss a tirée en 1946 de son opéra La Femme sans ombre. Les deux œuvres sont particulièrement difficiles pour l'orchestre, dont tous les pupitres sont particulièrement sollicités, ainsi que pour le chef.
Ce soir, la modernité, la sauvagerie du sabbat dépeint par Moussorgski – dans cette version princeps de 1867 bien plus audacieuse que la révision opérée par Rimski-Korsakov –, tombent à plat, malgré ou à cause de la gestuelle trop imprécise du chef. Si Fabien Gabel a prouvé en d'autres circonstances qu'il ne redoutait pas les partitions complexes, il lui aura à l'évidence manqué de temps et peut-être d'inspiration pour donner tout son relief à cette partition, ainsi qu'à la « fantaisie symphonique » de Richard Strauss.
Il n'y a pourtant que des éloges à faire à l'Orchestre National de France qui, malgré plusieurs départs récents de chefs de pupitres, fait corps et démontre un engagement sans faille. Certaines individualités se mettent en évidence dans des solos de toute beauté, notamment la trompette d'Andrei Kavalinski qui incarne l'Impératrice de La Femme sans ombre. Mais dans une partition aussi touffue que celle de Strauss, tout cela ne remplace pas la maturation qui naît d'un travail sans cesse remis sur le métier – c'est toute la différence entre un beaujolais nouveau et un côte-rôtie ! Le menu de ce concert était sans doute trop copieux pour que chef et musiciens puissent en révéler toutes les subtilités après quelques répétitions.

