Et le silence envahit soudain la Grange au Lac, pourtant traditionnellement prompte aux effusions joyeuses. En bis, Gautier Capuçon et l’Orchestre National de France dirigé par Cristian Măcelaru viennent de donner à entendre la Mélodie de Myroslav Skoryk en hommage aux victimes ukrainiennes des crimes de guerre de Vladimir Poutine. La puissance expressive de cet hymne a saisi dans son bois la « datcha » construite pour Mstislav Rostropovitch, apportant le plus beau contrepoint qui soit aux nombreux caractères cyrilliques qui ornent les poutres de cette salle de concert atypique.

Gautier Capuçon dans la Grange au Lac
© Matthieu Joffres

L’ovation ne tardera pas et c’est justifié, Gautier Capuçon ayant réalisé une véritable démonstration violoncellistique bien avant cette Mélodie dans un Concerto de Dvořák hautement spectaculaire et expressif. Projection sonore et vibrato à faire trembler les lustres, intensité extrême du timbre dans les mélodies chantantes, traits virtuoses passés avec une facilité désarmante : Gautier Capuçon fait mieux que remplir sa mission. C’est sans doute là, paradoxalement, que réside la limite de la performance : les mélopées de Dvořák contiennent une vraie sensibilité fragile, une introspection qu’on ne trouve pas dans le jeu du violoncelliste qui gonfle certains phrasés à outrance, survitamine les passages héroïques et accompagne ses attaques autoritaires avec la respiration sonore d’un prétendant à Wimbledon.

L'Orchestre National de France aux Rencontres musicales d'Évian
© Matthieu Joffres

Ce Dvořák à la Marvel, ce Captain America du violoncelle reste cependant un grand spectacle qu’on aurait tort de bouder tant ses effets spéciaux sont à couper le souffle. D'autant que derrière Capuçon, l’Orchestre National de France fait mieux que suivre le soliste. Dans les seconds rôles de la partition, le cor rayonnant d’Hervé Joulain, la flûte étincelante de Joséphine Poncelin et la clarinette touchante de Carlos Ferreira proposent des incarnations toujours solides, justes et inspirées – quand on pense que les deux derniers nommés ont intégré le National tout récemment, on se dit que la phalange a de beaux jours devant elle.

Après l’entracte, la seconde partie du concert commence d’ailleurs dans la même dynamique : cette fois-ci, c’est au tour de la harpiste solo de la formation d’être mise en avant dans les Danses sacrée et profane de Debussy que le compositeur avait écrites spécialement pour un instrument dont la facture était alors en pleine révolution. Nullement intimidée par ce rôle inhabituel de soliste devant ses collègues, Émilie Gastaud en profite pour montrer toutes les ressources expressives de sa harpe, donnant une vraie consistance mélodique à ses cordes pincées et une large palette de couleurs et de timbres aux harmonies debussystes.

Cristian Măcelaru dirige l'Orchestre National de France à Évian
© Matthieu Joffres

La dernière œuvre au programme laissera une impression plus mitigée. Déjà peu expansif voire attentiste dans le diptyque avec harpe solo, Cristian Măcelaru se montre peu inspiré à la baguette des trois Nocturnes. Sa battue large et monotone échoue à retranscrire le relief et les richesses expressives d’une partition qui n’en manque pas, les Fêtes centrales montent trop vite dans des sommets tapageurs qui masquent la part de mystère de ce fantastique ballet de timbres, et les Sirènes conclusives paraîtront plus ensommeillées que fascinantes. C’est d’autant plus dommage que le chef du National avait réussi à apporter au Concerto de Dvořák, en première partie, une éloquence et une envergure dignes de la Symphonie « du Nouveau Monde ». Présenté dans une jolie orchestration originale du chef assistant David Molard Soriano, le Clair de lune viendra en bis baigner d'une lumière plus subtile et particulièrement appropriée le crépuscule d'un monde sonore, la fin de cette édition 2022 des Rencontres musicales d'Évian.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par les Rencontres musicales d'Évian.

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