En musique comme dans tout langage, un certain tropisme opère, avec son lot de lieux communs rassurants. Cela vaut notamment en ce qui concerne l’expression des génies nationaux. On attend d’un pianiste français une clarté dans l’énonciation, un sens harmonique délicat dans ses interprétations des œuvres de Ravel, de Debussy ou encore de Franck. De même on attend d’une formation américaine une certaine fraîcheur, et d’un chef vénézuélien, une chaleur trop souvent absente sous un climat tempéré. Mardi soir au Barbican Hall, il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise. Gustavo Dudamel et le Los Angeles Philharmonic Orchestra nous ont offert tout cela, comblant de satisfaction une salle impatiente de se laisser souffler par un vent tout droit venu du nouveau monde.
Pour inaugurer cette résidence de trois jours aux allures de visite officielle – 25 membres du comité directeur de l’orchestre ayant fait le déplacement aux côtés des musiciens – c’est en effet un programme exclusivement made in America qui était proposé : Soundings de John Williams, le Concerto pour piano n° 1 de Ginastera, Play : Level 1 d’Andrew Norman et, pour conclure, la très patriotique Appalachian Spring Suite de Copland.
Que dire de cette dernière sinon qu’elle témoigne à elle seule de toute la distance qui sépare la mentalité de la vieille Europe de celle de nos cousins d’Amérique du Nord. Exit le doute sceptique qui s’observe à chaque page signée de la main d’un Mahler, d’un Schoenberg, et qui ne fera qu’aller croissant jusqu’à la prise de position radicale des avant-gardes, cette tabula rasa que même Varèse, pourtant émigré en Amérique, laissait préfigurer à sa manière. Varèse, cependant, était européen. Dans l’Appalachian Spring Suite, Copland nous propose une musique du plus grand dénominateur commun : un diatonisme indéfini dilué dans de longues sections imperméables à la plus modeste élaboration contrapuntique. De l’introduction à l’hymne final, tout n’est que vertu hollywoodienne, celle des grands espaces, celle du héros à la conquête de nouvelles frontières, celle, curieusement, décrite par Adorno dans sa critique des industries culturelles où toute individualité semble écrasée pour laisser s’épanouir l’illusion partagée d’un rêve américain.