Ce qui est bien avec les œuvres de Lili Boulanger, c’est qu’elles sont brèves et donc faciles à caser dans un programme symphonique. Tous les orchestres semblent ces temps-ci redécouvrir la jeune musicienne précoce, prématurément disparue à l’âge de 24 ans, peut-être pour réévaluer le quota des femmes dans leurs programmations ! Était-il pour autant nécessaire de programmer deux de ses œuvres en ouverture de chaque partie d'un concert tout entier voué à la musique française, ce jeudi soir à la Maison de la radio ? Le trop rare Allegro de sa sœur Nadia aurait été plus pertinent avant le triptyque debussyste qui lui est exactement contemporain.

D’un matin de printemps puis D’un soir triste, toutes deux achevées au début de 1918, témoignent toutefois du savoir-faire orchestral évident de Lili, très inspiré de Debussy, d’un sens des atmosphères que les titres de ces deux brèves « images » symphoniques suggèrent. Mais dans la première, on est gêné par le statisme de la direction de Cristian Măcelaru qui semble plus attachée à la lettre qu'à l’esprit de ces partitions. Les couleurs de l'Orchestre National de France sont belles mais figées.
Le Cinquième Concerto pour piano de Saint-Saëns va malheureusement nous montrer les mêmes limites dans l’accompagnement orchestral du pianiste Seong-Jin Cho, Premier Prix du concours Chopin de Varsovie en 2015 et ancien élève de Michel Béroff au Conservatoire de Paris. On a encore dans l’oreille ce qu’un Bertrand Chamayou faisait de ce concerto encore récemment. Si « l’esprit français » a une incarnation musicale, c’est bien dans les concertos de Saint-Saëns, et singulièrement dans ce dernier qui convoque l’exotisme oriental à la mode au tournant du siècle.
Les premières mesures font craindre que le jeune Coréen en reste au premier degré, mais la suite va nous démontrer qu’il n’a pas oublié que Saint-Saëns était lui-même un formidable virtuose et pas seulement un élégant mélodiste. Il y a du Liszt et du Chopin dans ce jeu qui exploite toutes les ressources d’un instrument parfaitement réglé. Le mouvement central « égyptien » est d’une ineffable poésie. Dans le finale, Seong-Jin Cho se joue de toutes les difficultés, l’air de ne pas y toucher. Mais il est bien seul dans son récit, l’orchestre se contentant de lui faire un fond sonore, d’où l’on n'entend quasiment pas les vents qui pourtant devraient nourrir le dialogue avec le piano. Heureusement, le soliste revient donner un bis consistant : la Pavane pour une infante défunte de Ravel, absolument admirable d’allure comme de densité du son. On en devient impatient de l’entendre dans les concertos du compositeur…
On espérait que la torpeur qui semblait s’être emparée du National en première partie allait disparaître pour les « trois esquisses symphoniques » de La Mer de Debussy. L’annonce le matin même de la nomination de Cristian Măcelaru à la succession de Louis Langrée à Cincinnati, sans que soit précisé l’avenir de sa collaboration avec l’Orchestre National de France dont il est le chef depuis 2020, a-t-elle perturbé les esprits, engendré doutes ou appréhensions chez les musiciens ?
Toujours est-il qu’on a le sentiment que quelque chose ne fonctionne pas ce soir, alors qu’on sait pour l’avoir plusieurs fois éprouvé, comme à Bucarest l’automne dernier, que l’accord entre l’orchestre et son directeur musical peut être fusionnel et intense. Certes, Cristian Măcelaru obtient des couleurs, des transparences subtiles, en particulier dans le troisième mouvement Dialogue du vent et de la mer, mais, en adoptant des tempos trop lents dans les trois volets, en s'en tenant à une lecture littérale de la partition, il se prive de l'élan nécessaire à l'évocation du lever de soleil initial, de la fougue, de l'agitation même qui devrait animer les Jeux de vagues du deuxième mouvement. La pâte orchestrale semble comme distendue, alors que le National est au cœur de son répertoire. Et la mer va se révéler décidément trop calme dans le finale de ce triptyque, comme un pastel vu à distance.