C’est une rentrée atypique pour l’Orchestre de Paris, qui doit dire au revoir, en ce début de saison, à l’un de ses piliers : son violon solo Roland Daugareil, qui prend sa retraite. Un départ célébré par un programme festif s’il en est, des valses au Boléro d’un compositeur que l’orchestre connaît sur le bout des doigts, ici abordé sous l’angle de ses voyages imaginaires : Maurice Ravel.

Le concert s’ouvre sur une lecture franche et entraînante des Valses nobles et sentimentales : la première des danses est ici portée par un tempo allant et la direction énergique de Gustavo Gimeno, qui en fait tout particulièrement ressortir les sonorités percussives. Mais cet enthousiasme semble se calmer progressivement : pour les mouvements plus lents, le chef adopte une gestuelle ample et souple, et semble chercher à faire ressortir un souffle global, en fluidifiant au maximum les tuilages entre instruments, plutôt que les originalités de l’orchestration. Le son des cordes, s’il demeure à tout instant élégant et chaleureux, est aussi soutenu et vibré, ce qui ne favorise pas les contrastes de nuances. À tel point que dans l'Épilogue, très suspendu, les couleurs ne sont finalement pas assez surprenantes : on aimerait entendre dans ce ballet incongru, dernier stade de la déconstruction de la valse, des teintes plus mystérieuses… C’est davantage à une célébration de la valse et du son de l’orchestre que l’on assiste ici.
La Valse qui suit présente une autre facette, plus tardive, du travail de Ravel sur cette danse mythique : plus attaché cette fois à en faire ressortir les bizarreries, Gimeno choisit d’abord de souligner les étranges fulgurances que le compositeur fait surgir chez les vents. Avec la montée en puissance de la valse, à la fois en volume et en tempo, cette attention aux détails s’estompe toutefois pour laisser place aux motifs thématiques, ici particulièrement fluides, comme pris dans un grand mouvement de fuite en avant. Si l’ensemble manque parfois de consonnes dans les attaques, et donc d’un brin de folie, notamment dans l’explosion finale, ce grand emballement décadent n’en demeure pas moins séduisant !
Après une première partie de concert consacrée aux réminiscences viennoises, la seconde permet d’explorer les rêves d’Espagne de Ravel. Dans l’Alborada del gracioso, la direction minimaliste du chef laisse la part belle aux instrumentistes, qui inventent des sonorités insolites : pizzicati tantôt amples et résonnants, tantôt secs voire brutaux chez les cordes graves, vibrato délicat et accents volontairement patauds au basson, les musiciens s’en donnent à cœur joie. C’est dans ces trouvailles que réside finalement l’intérêt de cette version, par ailleurs un peu plate du point de vue des contrastes de nuances.
Ceux-ci sont plus exacerbés dans la Rapsodie espagnole, dont le Prélude à la nuit murmuré permet de préserver une belle marge de progression jusqu’à la fastueuse Feria. Dans les passages les plus chantants des deux premiers mouvements, on se délecte des couleurs scintillantes des trémolos de cordes, mais aussi de la personnalité des bois : au duo de clarinettes complices et taquines répondent deux bassons pleins de solennité… puis dans la Malagueña, le jeu presque maniéré d’un cor anglais qui ne manque pas de charme. Les deux derniers mouvements sont un peu moins convaincants : les cordes, très homogènes, adoptent un ton plus lyrique que dansant dans la Habanera, et leurs attaques douces ne permettent pas de faire ressortir les rythmes chaloupés de la pièce. Les bois, élégamment nonchalants dans leurs solos, souffrent de petits soucis de justesse d’ensemble dans les passages plus fournis. Cela ne suffit cependant pas à faire oublier une fin rayonnante qui souligne le caractère jubilatoire de cette œuvre.
C’est toutefois le Boléro qui remporte les suffrages du public. Des solos de vents inégaux, on retiendra la délicatesse de la flûte et de la clarinette qui ouvrent le morceau, la désinvolture factice du saxophone soprano, mais surtout un pupitre de hautbois impeccable, emmené par la toute nouvelle recrue de l'orchestre, Miriam Pastor Burgos. Emportés par le plaisir visible des musiciens à jouer cette pièce culte, les spectateurs sont ravis par cette conclusion flamboyante, qui remporte une standing ovation – bien sûr destinée au départ de Roland Daugareil, qui aura eu la joie de quitter son pupitre devant une salle comble, débarrassée du spectre des jauges réduites !