« Il n’y a pas une page négligée dans cette partition, pas une longueur ». Ainsi Kaminski expliquait-t-il la fidélité du public au premier opera buffa de Donizetti, qui revient cet automne à l’Opéra de Paris.
Quelle production, d’abord. Laurent Pelly confirme son goût des mises en abîmes : après les gradins mouvants de Platée, il ouvre l’acte I sur une immense pyramide de bottes de foin qui servira d’arène à l’intrigue. Nemorino et Adina y évoluent sous les yeux du chœur-voyeur. Ces marches végétales soulignent l’enjeu de classes qui sous-tend l’intrigue : Adina est juchée au-dessus de Nemorino et du chœur des paysans, à qui elle fait la lecture non sans condescendance. Le fossé entre la riche fille de propriétaires et le benêt du village semble alors insurmontable. Cette pyramide se disloque peu à peu, et les espaces se rendent favorables à la réunion des amants sur qui les conventions perdent prise. Pour l’air de Nemorino à l’acte II, Pelly ne convoque rien de moins qu’un (imaginaire ?) ciel étoilé, confident éphémère du héros, disparaissant avec l’arrivée d’Adina. Le tout est simple, sans fausses pudeurs, et infiniment poétique.
Roberto Alagna est en grande forme ce soir. Irrésistible en simplet enamouré, il donne à Nemorino des airs de Pierrot en salopette, à la prose simple et au cœur vrai. On a rarement vu le ténor aller si loin dans l’autodérision, lui qui a fait ces dernières années la part belle aux rôles dramatiques. Son air d’ouverture annonce que la soirée sera belle : diction et ligne impeccables, émission claire, rubato à tous les étages. Les pianissimi de la cadence finale de l’attendu « Una furtiva lagrima » lui assurent un triomphe mérité.
Un peu timide de projection dans son premier air « Benedette queste carte », Aleksandra Kurzak dévoile l’étendue de moyens étourdissants dans le duo « Una parola, o Adina » : le timbre est superbe, accroché et généreux, l’agilité sans faille. Son air de confession « Prendi per me sei libero » est un grand moment de bel canto. L’actrice est désarmante, et l’alchimie avec son compagnon à la ville, parfaite.
Ambrogio Maestri est un Dulcamara de choix : sa projection impressionnante crée un quasi-déséquilibre dans les ensembles. Face à lui, le Belcore de Mario Cassi est un peu pâle, quelque peu paresseux sur la diction et la justesse dans son air d’entrée. On admettra que chanter « Come Paride vezzoso » en dévalant une meule de foin n’est pas l’idéal. La belle surprise de la soirée est la Giannetta de Mélissa Petit, qui à 25 ans fait montre d’une impressionnante maturité vocale et de précieux talents de comédienne. A suivre !
Donato Renzetti dirige l’Orchestre de l’Opéra d’une main experte, malgré quelques flottements dans les ensembles. Belle prestation du Chœur de l’Opéra, qui se soumet avec zèle à la direction d’acteurs serrée de Pelly sans perdre un pouce de précision musicale.