Dans le cadre de son festival Schall und Rausch (littéralement « Bruit et ivresse »), le Komische Oper de Berlin prouve que la musique actuelle et les beats électroniques ont leur place au même rang que la musique classique. Organisé dans des lieux emblématiques de la vie nocturne berlinoise au cœur du quartier de Neukölln, le festival – dont c’est la deuxième édition cette année – rencontre un franc succès, comme en témoigne la salle comble de ce samedi soir pour un programme proposant une rencontre aussi inhabituelle qu’audacieuse, celle de David Bowie et d’Anton Bruckner. Deux hommes aux destins pourtant similaires bien qu’éloignés d’un siècle, tous deux ayant en effet souffert d’un sentiment d’isolement au plus haut de leur carrière. 

James Gaffigan dirige l'orchestre du Komische Oper de Berlin © Jan Windszus Photography
James Gaffigan dirige l'orchestre du Komische Oper de Berlin
© Jan Windszus Photography

Pour cette soirée, c’est le Vollgutlager qui a été choisi pour recevoir l’orchestre du Komische Oper dirigé par James Gaffigan et un petit millier de personnes dans le public. La grande salle au design industriel brut faisait partie de l’ancienne brasserie berlinoise KINDL. Si le lieu colle parfaitement à la volonté du Komische Oper de décloisonner les mondes et les cultures, on est malgré tout légèrement déçue par l'acoustique qui dessert un peu le programme proposé.

Initialement, la création de la version orchestrale de l’album Heroes de David Bowie était annoncée en première partie de concert, avant la Sixième Symphonie de Bruckner après la pause. C’est cependant l’inverse qui sera effectivement proposé et cela à raison d’un bel effet théâtral en toute fin de concert qui se justifie entièrement.

Le premier mouvement de la Sixième de Bruckner, Majestoso, ouvre donc la soirée avec un ostinato bien exécuté par l’orchestre dont ne voit malheureusement que les archets et les contrebasses, les cuivres et l’harmonie étant cachés, pour une partie du public, derrière un des grands piliers en béton de la salle. Les tuttis aux cuivres et violons censés retentir et surprendre l’auditoire semblent atténués par l’acoustique de la salle ; on aurait aimé que le son se développe un peu plus pour se sentir plus enveloppée par la musique. Heureusement, les passages plus calmes, comme les solos de flûte, hautbois ou de cor avec sourdine sont très bien rendus.

La marche funèbre du deuxième mouvement pâtit un peu du bruit de crissements de pneus du parking voisin. Cela fait partie des concessions que l’on doit faire quand on joue dans un lieu insolite ! Et les pizzicati des contrebasses et violoncelles réussissent à nous emporter dans l’univers de Bruckner, jusqu’aux trois accords finaux de ce mouvement, parfaitement bien exécutés. Le troisième mouvement est plus difficile, notamment pour les cuivres, mis à nu dans cette acoustique qui ne pardonne pas. Ce pupitre réussit malgré tout de très belles percées tout au long des deux derniers mouvements et sera particulièrement applaudi avant la pause.

Pour la première de l’adaptation orchestrale de l’album Heroes, le lieu donne encore une fois du fil à retordre, mais le clin d'œil à la neuvième piste de l’album (Neukölln) est malgré tout apprécié. Véritable fresque musicale empruntant à l’électronique, au rock, à la disco et faite de multiples collages sonores, Heroes a été entièrement écrit et enregistré à Berlin et retranscrit l’atmosphère unique de la ville. Pour rendre ce caractère, l’adaptation orchestrale s’impose d’emblée comme une pièce difficile et exigeante. Mais les musiciens du Komische Oper relèvent le défi brillamment avec un pupitre de percussionnistes particulièrement fourni (glockenspiel, tam-tam, grosse caisse, cloches tubulaires).

Les pistes de l’album s’enchaînent sans véritable pause, comme dans la version enregistrée. On se rappellera la très belle adaptation de Moss Garden, tout en douceur, presque angélique. Et celle de la chanson-titre bien sûr, avec le thème principal repris tour à tour par chaque pupitre pour finir dans une version minimaliste aux cloches tubulaires.

La magie prend entièrement forme à la fin du dernier numéro, lorsque l’un des percussionnistes lance, au fouet, un rythme répétitif qui finit par être repris par la salle. Puis le thème de quelques notes joué aux cordes est lui aussi repris plusieurs fois, permettant également au public, sur l’invitation de Gaffigan, de se joindre à l'orchestre. Sur un doux decrescendo des instrumentistes, c’est finalement le public qui termine et donne la note finale de ce concert. James Gaffigan quitte sa place sur scène et s'éclipse dans les coulisses pour quelques secondes, donnant ainsi le temps aux derniers sons de retentir dans le public et de se transformer en véritables applaudissements !

****1