Si le Festival Massenet, créé à Saint-Etienne en 1990, s’est éteint à sa dernière édition en 2015, il est heureux de voir le retour du compositeur stéphanois en ses terres, avec une de ses œuvres majeures, Thaïs, mise à l'honneur par l'Opéra de la ville.

<i>Thaïs</i> à l'Opéra de Saint-Étienne &copy; Opéra de Saint-Étienne / Cyrille Cauvet
Thaïs à l'Opéra de Saint-Étienne
© Opéra de Saint-Étienne / Cyrille Cauvet

L’action se déroule au IVe siècle à Alexandrie, le moine Athanaël tente de convertir au christianisme Thaïs, une célèbre courtisane et prêtresse païenne. Il y réussit, mais Thaïs retirée dans un couvent meurt, alors qu'il réalise qu'il était fou amoureux d'elle et renie finalement sa foi. Dans cette nouvelle-production, Pierre-Emmanuel Rousseau transpose l’histoire à la Belle Époque. Sa vision est lisible et à fort impact, empreinte de religiosité, ainsi que d’une dose de violence sanglante. Parmi les moines cénobites, Athanaël se flagelle vigoureusement pour tenter d’oublier ses visions et fantasmes envers la courtisane Thaïs, tandis que celle-ci se taillade la chair aux commissures des lèvres lorsqu’elle renonce à sa vie de dépravée, la faisant ressembler au Joker de Batman.

Le banquet chez Nicias, ami d'Athanaël et ancien amant de Thaïs, a des allures de lupanar avec son mobilier à velours rouge et son podium cerclé d’ampoules. Sous les lustres, des billets de banque s’échangent et certains couples coïtent à la va-vite – saynètes peut-être pas indispensables au spectacle. Avant de débarquer dans cette ville pécheresse d’Alexandrie, Athanaël se fait frapper au sang, un peu d’hémoglobine partant sur le beau rideau doré. Mais d’autres tableaux contrastent avec goût, comme l’austère thébaïde des moines, ceux-ci étant assis en ligne sur des bancs sous une immense croix suspendue, ou encore le sombre monastère final où Thaïs meurt sur un lit blanc, entourée de bougies.

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Thaïs à l'Opéra de Saint-Étienne
© Opéra de Saint-Étienne / Cyrille Cauvet

La distribution vocale est d’un excellent niveau, en particulier les deux protagonistes principaux qui interviennent en prise de rôle à l’occasion des trois représentations programmées. C’est le cas de la soprano espagnole Ruth Iniesta pour le rôle-titre : la voix est puissante et expressive, le registre aigu facile, et l'on note une excellente qualité de prononciation du texte. Au deuxième acte, après avoir prononcé les mots « J'ai l'âme vide » pendant qu’elle boit du champagne et fume de l’opium allongée sur son lit, son grand air « Dis-moi que je suis belle » est conduit avec élégance et émaillé d’un joli suraigu final.

Jérôme Boutillier compose un bouillant Athanaël, très engagé scéniquement, se jetant à terre, roulant au sol, se frappant la poitrine, souffrant tout au long de la représentation, en luttant d’abord contre les attraits de la chair, puis finalement encore en proie au désespoir à la mort de Thaïs, son aimée. Son baryton possède une rare noblesse de grain, couplée à une vigoureuse projection, comme pour son air « Voilà donc la terrible cité ! ». En Nicias, Léo Vermot-Desroches dispose d’une solide assise dans la partie grave, mais aussi d’une impressionnante réserve de puissance dans le registre aigu, sans sacrifier à la clarté de la diction.

Le baryton-basse Guilhem Worms complète la distribution d’une voix ferme en Palémon, aux côtés du couple Crobyle-Myrtale de Marion Grange et Éléonore Gagey, au piquant vocal par instants toutefois un peu émoussé. En Albine, Marie Gautrot dégage enfin une présence vocale supérieure à celle de la Charmeuse de Louise Pingeot, celle-ci étant toutefois dotée d’une souplesse suffisante pour l’agilité vocale de sa partie.

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Thaïs à l'Opéra de Saint-Étienne
© Opéra de Saint-Étienne / Cyrille Cauvet

Actuel directeur musical de l’Opéra de Toulon, le chef Victorien Vanoosten fait avancer le drame et magnifie les beautés de la partition. Constamment attentif aux solistes et choristes sur le plateau, il sait tout aussi bien détailler les petites dentelles aux cordes ou aux bois que donner du brillant et de la profondeur aux pages instrumentales, comme celles entre les tableaux successifs. L’Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire est en très belle forme sous sa baguette, aussi bien les musiciens en coulisse que le splendide violon solo qui joue la célèbre « Méditation ».

Les passages de ballet sont dansés en solo par Carlo D’Abramo, habillé moitié homme, moitié femme, lorsqu’il n’accompagne pas Thaïs. Les chœurs enfin apportent leur contribution vaillante et précise d’intonation, en particulier sa partie masculine, davantage mise à contribution pour les scènes qui rassemblent les moines.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Saint-Étienne.

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