L'Orchestre philharmonique et le Chœur philharmonique de Strasbourg ont proposé leur concert de Noël au Palais de la Musique et des Congrès, avec quelques jours d'avance sur le calendrier civil et religieux. Affiché à un tarif familial, ce concert se déroule devant un public d'autant plus comblé que les musiciens donnent, à la fin de la soirée, un heureux et recueilli Stille Nacht. « Douce nuit », souhait vivement partagé tandis qu'à la même heure, à l'autre extrémité de l'avenue de la Paix, l'Opéra, place Broglie, suspend la participation du Chœur de l'Opéra National du Rhin aux représentations de Carmen pour cause de Covid-19.

Aziz Shokhakimov dirige l'Orchestre philharmonique de Strasbourg
© Gregory Massat

Le programme est encadré par deux pièces de Felix Mendelssohn. D'abord celle d'un compositeur de quatorze ans, avec sa Symphonie pour cordes n° 12 en sol mineur faisant entendre la précocité de son auteur mais aussi son ardeur. La fugue du mouvement initial offre une interprétation charpentée et bien rythmée sous les archets de l'OPS dirigés par son nouveau chef, Aziz Shokhakimov. L'allant qu'imprime la formation à ce mouvement entraîne presque inévitablement, pourrait-on dire, les applaudissements d'un public manifestement peu habitué à attendre la fin d'une œuvre. Mais cette fois, c'est bien ainsi ! L'Andante laisse apprécier un charme juvénile auquel toutefois manque un peu d'âme tant l'application du jeune compositeur à respecter les formes semble brider l'expressivité des interprètes. L'Allegro molto final réjouit par la vivacité des tuttis à la notable richesse harmonique.

L'oratorio inachevé Christus date de la toute fin de vie de Mendelssohn, la mort venant interrompre son écriture. Ayant placé le jeune Felix en tête du programme, c'est en clôturant celui-ci par la dernière de ses œuvres que l'Orchestre de Strasbourg rend hommage à l'existence tout entière du musicien. L'oratorio est lui-même l'abrégé d'une vie, celle du Christ dont Mendelssohn consacre ses dernières forces à rappeler la naissance puis la mort. Le récitatif introductif interprété par la soprano Anne-Marine Suire d'une voix claire et pleine de fraîcheur est en accord avec son objet : la Nativité. Le trio constitué de Reinoud Van Mechelen, Jean-Christophe Lanièce et Aaron Pendleton rapporte quant à lui, de manière joyeuse mais empreinte aussi de dévotion, la démarche des Rois Mages. Ce trio est magnifiquement soutenu par un orchestre, cordes graves en particulier, lui faisant écho. Le chœur achève cette Nativité sur une puissante annonce évangélique mobilisant toutes les capacités de nuances et d'expressivité de la formation.

L'Orchestre et le Chœur philharmoniques de Strasbourg sous la direction d'Aziz Shokhakimov
© Gregory Massat

Les fragments de cette œuvre inachevée nous font passer sans transition vers la fin de la vie du Christ. Mendelssohn instaure un dialogue dramatique entre le ténor, récitant, et le chœur incarnant la foule lors de la Passion. La sonorité, le volume, les éclats de voix parfois quasi expressionnistes lui donnent une présence d'autant plus saisissante que les paroles sont tout à fait perceptibles. Le chœur est flamboyant dans les imprécations de la foule, jusque dans la perfide solennité du « ... nach dem Gesetz soll er sterben » (d'après la loi, il doit mourir). L'esprit luthérien du choral final est également rendu avec une profonde authenticité.

Auparavant, la Cantate de l'Avent de Walter Braunfels a fait découvrir un compositeur largement méconnu. Une saisissante attaque à la percussion, aux cordes puis aux vents fait vibrer l'air de son puissant crescendo associé à une ligne musicale ascendante. Toutefois, la gestique parfois brusque du chef Aziz Shokhakimov impose à cette impressionnante progression qui parle d'elle-même des saccades dont on ne ressent pas l'opportunité. Un peu plus loin, on regrette encore que cette même ardeur ne s'efforce pas cependant de retenir l'orchestre, voire le conduise dans des fortissimos tenant bien peu compte de la voix du soliste, le baryton Jean-Christophe Lanièce. Plusieurs fois couverte, elle peut heureusement dans les passages plus favorables, se détacher avec son timbre riche et chaud, son bel ambitus. Le chœur fait ressortir les aigus des voix féminines soutenues par des voix d'hommes dont la cohésion est sans faille. L'Alleluia final est splendide.

L'Orchestre et le Chœur philharmoniques de Strasbourg sous la direction d'Aziz Shokhakimov
© Gregory Massat

Avec les Variations sur un thème de Haydn de Brahms, après la pause, la technicité, la sensibilité et l'engagement individuels brillent au sein des pupitres. Lors de la présentation du thème, les plans sonores composés par l'ensemble des instruments créent un relief coloré au sein duquel les hautbois apportent avec bonheur leur touche si particulière. Cordes, flûtes et autres bois, cors, trompettes et percussions animent tour à tour les variations de manière fluide. Si chacun contribue au niveau de son talent, on aimerait parfois que la fougue des parties animées ou forte laisse place à une pointe d'enthousiasme collectif plus sensible dans certains moments plus calmes. Ainsi, la quatrième variation (Andante con moto) n'apparaît pas suffisamment con moto pour conserver la dynamique qu'imprime l'œuvre globalement. Ce devrait être la tâche du directeur musical, Aziz Shokhakimov, de permettre à l'élan collectif de se maintenir dans l'ensemble des registres, afin que l'orchestre strasbourgeois dont il vient de prendre les commandes rende pleinement toute la sensibilité dont il est capable.

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