La flûte traversière est à l’honneur dans les salles parisiennes en ce début de saison 2025/26 ! Après Vincent Lucas dans Connesson à la Philharmonie de Paris, voilà Emmanuel Pahud dans Mozart à l’Auditorium de Radio France. L'artiste, bien connu des mélomanes avertis en tant que soliste des Berliner Philharmoniker, lance avec ce concert sa résidence entre répertoire classique et créations au sein de la maison ronde.

Emmanuel Pahud © Josef Fischnaller
Emmanuel Pahud
© Josef Fischnaller

Alors que le Concerto pour flûte n° 1 de Mozart est un véritable tube du répertoire de la flûte traversière, au programme de tous les concours de conservatoire et d’orchestre, Emmanuel Pahud réussit à nous tenir en haleine pendant l’intégralité des trente minutes de l’œuvre. Chantre malicieux d'un esprit mozartien pétillant, le flûtiste nous surprend même régulièrement au cours d’un premier mouvement virevoltant à souhait et à la liberté rythmique assumée ! L’auditeur suspendu au souffle de l’artiste respire de concert avec le musicien, dont le phrasé cohérent malgré de nombreuses ruptures de dynamiques ou de nuances permet d’apprécier une technique infaillible.

L’« Adagio » change diamétralement d’approche en évoluant dans un climat de douceur, où un legato enveloppant caresse chaque phrase avec un soin infini. Le soliste ne tombe pas pour autant dans une brume mièvre et romantisante : sa maîtrise du souffle sur l’ensemble de la tessiture assure une conduite du son éloquente, autant dans les nuances piano murmurées que lorsque la tension et le timbre s’intensifient, cuivrant presque le son de l’instrument. Le finale marque un retour à une virtuosité tout en élans, occasion de retrouver dans ses multiples gammes et bariolages la finesse et la variété des articulations du flûtiste. Chaleureusement applaudi par un public conquis, Pahud choisit intelligemment d’interpréter en rappel Syrinx de Debussy, prélude aux créatures fantastiques du Songe d’une nuit d’été qui suivra. L’artiste en livre une interprétation qui s’appesantit peu à peu, comme si les paupières se fermaient avant le rêve, et conclut la pièce pour flûte seule par une ultime tenue aux mille textures suggestives, justifiant à elle seule la venue au concert.

Au côté du soliste, Riccardo Minasi propose une direction énergique, attentive à ne jamais couvrir le soliste et à insuffler du rebond, notamment dans le troisième mouvement. Après avoir accompagné le concerto de manière convaincante, l'Orchestre Philharmonique de Radio France ne livrera malheureusement pas une interprétation de la partition de Mendelssohn à la hauteur de la transition debussyste offerte par Pahud. Difficile de ne pas voir dans la gestique tourbillonnante du chef la cause de cette perte de repère au sein d’une partition à l’écriture fine et exigeante. Déjà remuant dans le concerto, Riccardo Minasi se mue ici en véritable lutin hyperactif, donnant mille indications à la seconde. Si chaque signe semble clair, leur multiplication intempestive et leur juxtaposition précipitée transforme la battue en gesticulations confuses.

Au-delà des décalages fréquents, en particulier dans la redoutable « Ouverture », c’est le son d’ensemble qui est la première victime de la situation. Alors que la semaine dernière l’orchestre sonnait à merveille, alliant homogénéité sonore et musicale, les pupitres vivent ce soir chacun de leur côté, sans parvenir à fusionner, à l’image du relais de l’« Intermezzo » qui se résume ce soir à une succession de motifs sans ligne directrice unifiante. Cela n’empêche pas de remarquer les performances individuelles très réussies, notamment le cor d’Alexandre Collard au cours d’un « Nocturne » qui le laissera bien esseulé, ou encore les traits chirurgicaux de la flûte de Mathilde Calderini à la fin du « Scherzo ». Cette atmosphère fragmentée se conclut paradoxalement de manière convaincante avec une « Marche nuptiale » suggérant avec justesse le burlesque de la scène – dans la pièce de Shakespeare, il s’agit d’une parodie de mariage.

La déception est d’autant plus grande que l’Ouverture dans le style italien de Schubert qui ouvrait le concert avait placé l’union de l’orchestre et du chef sous d’heureux auspices. Plus sage, attentif à donner l’impulsion des temps forts, Minasi avait fait jaillir d’un orchestre précis le caractère rossinien de la page, où les duos et quatuors de la petite harmonie sonnaient comme autant de scènes d’un opéra léger au sein d’un étagement des plans sonores remarquable. Mendelssohn n’était finalement qu’une erreur de casting.

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