Vingt-quatre heures avant sa rentrée parisienne, l'Orchestre Philharmonique de Radio France faisait jeudi dernier l'ouverture du Festival de Laon, dans le cadre majestueux de la Cathédrale Notre-Dame de Laon. Un concert sans entracte, un peu plus court que celui de l'Auditorium de Radio France, mais d'une densité musicale, émotionnelle qui rassérène après les décibels de la soirée de la veille à la Philharmonie de Paris.

On ne se départira pas toute la soirée du sentiment que, pour succéder à Mikko Franck à la tête de l'orchestre, son jeune compatriote Santtu-Matias Rouvali eût été un excellent choix. Depuis 2014, l'actuel directeur musical du Philharmonia de Londres est un hôte régulier du Philhar' et l'entente, l'osmose même entre les musiciens et lui est telle qu'on imagine aisément les étincelles qu'aurait pu produire un partenariat plus étroit entre eux. Ce soir l'elfe blond, qui dansait sur son podium devant ce même orchestre il y a onze ans, mène les musiciens du Philhar' d'un geste bienveillant, qui sollicite plus qu'il n'impose, d'un regard complice, d'une main vive qui donne l'impulsion sans brider. Assagi mais toujours créatif, Rouvali est à lui seul une leçon de direction d'orchestre, de celles qu'il a apprises, comme tant de ses compatriotes, auprès de leur maître à tous, le vétéran Jorma Panula.
C'est la première fois que Rouvali dirige la Troisième Symphonie avec orgue de Saint-Saëns et cela se devine à quelques minuscules broutilles. Mais le chef laisse advenir la musique comme s'il la fréquentait depuis toujours. Et, pour l'auditeur qui s'est plus d'une fois ennuyé à des exécutions bruyantes et pompeuses, c'est aussi une redécouverte. On aime que l'orchestre comme le chef n'oublient pas que Saint-Saëns signe avec cette partition, créée en 1886, une sorte de manifeste de la musique française, même dans son finale très « victorien » (l'œuvre répondait à une commande de la Royal Philharmonic Society de Londres).
Avec ses syncopes si piégeuses pour l'orchestre, le premier mouvement est, avec le chef, d'humeur mendelssohnienne dans sa légèreté chorégraphique, sa fluidité mélodique. Ici il faut la solidité de la violon solo Ji-Yoon Park pour éviter des décalages que l'acoustique généreuse de la cathédrale de Laon ne peut qu'accentuer, mais le geste rassurant du chef conduit tout le monde à bon port. Ponctué par quelques accords de l'orgue, le « Poco Adagio » qui suit est une splendide mélopée, conduite avec une élégance, une transparence, et une retenue qui font merveille, parce que Rouvali fait juste de la musique, sans effet, sans surcharge et que c'est admirable.
Le scherzo – qui tient de Mendelssohn à nouveau ! – ne court pas la poste, mais Rouvali fait saillir tel accent, tel trait des vents, joue le divertissement primesautier, plus que la démonstration de virtuosité. Le dernier mouvement, s'appuyant sur l'orgue d'Alma Bettencourt (malheureusement pas celui de la cathédrale qui n'est pas jouable), évitera pareillement les excès, adoptant des tempos plus modérés qu'à l'accoutumée, notamment dans sa grande fugue. C'est finalement un plaisir de gourmet que d'entendre les musiciens du Philhar' s'épanouir dans ce qui est ici bien mieux qu'un exercice de style imposé. Rouvali sait amener comme personne la péroraison finale et c'est évidemment un triomphe qui accueille chef et musiciens.
La réussite de cette soirée tient aussi à une interprétation exceptionnelle du Second Concerto pour violon de Chostakovitch (1967) en première partie. Il y a quelque chose d'étrange dans l'œuvre du compositeur mort il y a 50 ans : ses deuxièmes concertos (pour le piano, le violon ou le violoncelle) sont toujours restés dans l'ombre des premiers, tant au concert qu'au disque. Parce qu'ils sont de la dernière période créatrice du compositeur réputée moins féconde, parce qu'elles sont moins accessibles, plus austères ? Balivernes. D'ailleurs Chostakovitch construit ce second concerto sur le même plan formel que le premier, mais vingt ans se sont écoulés entre les deux et les épreuves de santé n'ont pas épargné le compositeur.
On se rappellera longtemps les confidences inquiètes, comme résignées, du violon si bouleversant de Leonidas Kavakos, qui parcourt les immensités désolées du premier mouvement, tentant de brèves échappées vers la lumière. L'« Adagio » central est une sublime cantilène comme une lente déploration qui pourtant exprime un désir d'espoir. Soliste et chef abordent le finale comme un scherzo fantastique, une course à l'abîme juste interrompue par une cadence formidablement virtuose. Leonidas Kavakos transfigure ce concerto et le porte, avec une merveilleuse simplicité de moyens et d'approche, à des sommets d'émotion. On ne ressort pas indemne de ce magnifique hommage à l'un des plus grands compositeurs du XXe siècle.