On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. La Philharmonie de Paris a fait sien l’adage en appliquant la formule éculée ouverture-concerto-symphonie dans un programme, un brin conservateur, mais qui fait salle comble. Sans doute la présence d’Alexandre Kantorow au piano dans le Triple Concerto de Beethoven – aux côtés de Liya Petrova au violon et d’Aurélien Pascal au violoncelle – n’y est pas pour rien. À la tête de l’Orchestre de Paris, Stanislav Kochanovsky fait face au défi de ne pas ajouter au corset de ce programme le lacet de l’académisme.

Stanislav Kochanovsky
© Marco Borggreve

Mis à l’honneur dans ce concert, les bois de l’Orchestre de Paris réalisent un sans-faute dans le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et la Troisième Symphonie de Brahms : la prise de parole soliste est hardie et assurée, sans déborder sur le jeu collectif rendu presque chambriste par l’écoute mutuelle des musiciens. C’est à Vicens Prats qu’échoit l’honneur d’ouvrir le concert par le solo de flûte du Prélude, aussi sublime que surexposé par l’absence d’accompagnement. Le musicien s’en acquitte sans trembler, et fait vibrer les vingt-quatre carats de son instrument d’un phrasé doux et expressif. À ses côtés, c’est un timbre acidulé et pointu que produit le hautbois d’Alexandre Gattet, proche en cela de la traditionnelle facture française, mais sans ses sonorités perçantes et nasillardes ; alors qu’il se fait suspendu ou virevoltant, et toujours aérien dans Debussy, il lui suffit d’une phrase et quatre notes pour teinter l’Andante de la Troisième de Brahms de toute sa poésie. Les cornistes emmenés par Benoît de Barsony ne seront pas en reste non plus dans le troisième mouvement, dont ils feront jaillir – par leur timbre mordoré – la dimension mélancolique du thème et ses émotions contrastées.

Stanislav Kochanovsky aborde sagement le Prélude, sans ingérence inutile tant les musiciens sont rompus à ce répertoire qu’ils pourraient jouer les yeux fermés. Adroitement, le maestro anime néanmoins les dynamiques, sculpte les effets sonores, entretient la fluidité, et le charme de l’œuvre de Debussy apparaît sous la richesse des timbres de l’orchestre. Mais avec de si belles couleurs dans sa palette, pourquoi faire du Brahms en noir et blanc ? Sans doute l’art de la grande phrase ne manque pas au chef, mais la Troisième Symphonie – déjà fort rigoureuse dans sa composition – ne peut souffrir la retenue qu’il lui impose : à l’image de ses cordes bridées et de ses timides contrechants, l’orchestre paraît bien vaporeux. Aussi, de l’absence d’étagement des plans sonores lors du second mouvement au Poco Allegretto sans engagement du troisième, tout concourt à ternir l’œuvre de Brahms. Pourtant, le chef trouve parfois des élans d’inspiration – et l’œuvre ses couleurs – comme dans la marche du mouvement final où, par-dessus le tricot serré des cordes, les cuivres se parent d’un éclat quasi soviétique : martiale et sans concession, cette esthétique n’est pas sans rappeler celle d’un Mravinski. Dommage que ces impulsions soient si rares, car c’est avec justesse et dynamisme que Kochanovsky avait conclu la première partie de soirée dans le Triple Concerto de Beethoven.

Alexandre Kantorow, Aurélien Pascal, Liya Petrova
© Jean-Baptiste Millot / Béatrice Cruveiller / Marco Borggreve

Il avait fallu tout l’art d’Alexandre Kantorow au piano, remarquable dans l’éloquence comme dans la discrétion, pour maintenir l’ossature de cette œuvre, ici fragmentée par deux archets déséquilibrés. Handicapé par le timbre trop feutré de son violoncelle – on se demande s’il n’a pas oublié d’enlever la sourdine de son instrument avant d’entrer sur scène –, c’est en vain et maladroitement qu’Aurélien Pascal tente de compenser cette réserve par une virtuosité approximative de la main gauche. Délitant autant l’écriture concertante que solistique, les imprécisions affectent également l’agilité de Liya Petrova dans ses bariolages et ses vifs traits staccato ; la violoniste semble plus concentrée à faire des effets de manche malvenus qu’à unir la voix de son instrument à celle de ses collègues. Pourtant habitués à jouer ensemble, ces trois amis paraissent ce soir trop occupés à exécuter leur partie individuellement plutôt qu’à dialoguer entre eux, avec l’orchestre, et ainsi à révéler les pépites dont regorge la partition. L’astucieux bis donné avant l’entracte leur aura néanmoins permis d’exécuter avec plus de cohérence l’Adagio cantabile du Trio n° 1 de Beethoven, œuvre dont le finale du Triple Concerto tire l’essentiel de son thème.

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