L’habit ne fait pas le moine mais habille la voix. Ce qui ne signifie nullement que la torride Lisa incarnée par une flamboyante Francesca Pia Vitale ne s’en serait pas sorti haut la main sans son costume de dragon signé Bruno Fatalot, mardi à l’Opéra de Clermont. La soprano italienne fait irruption dans cette Sonnambula en jouant de cambrures aussi bien vocales (un « Tutto è gioia » d’une sveltesse d’émission étourdissante) que corporelles : à damner le plus vertueux ténor ! Magnifique comédienne, elle force opportunément le rôle vers un penchant maléfique étoffé par un grain époustouflant dans le vibrato que n’aurait osé imaginer le malheureux Felice Romani, librettiste peu inspiré. Son personnage, pour se réinventer et s’exprimer pleinement, n’attendait que la puissance d’une telle expression scénique portée par une somptuosité sonore d’une arrogante autorité.
Cette projection incantatoire et possédée convoque la générosité timbrique et l’airain triomphant de la basse Alexey Birkus. Son comte Rodolpho ne manque pas de rebattre les cartes, et rebelote là encore ! La metteuse en scène Francesca Lattuada (qui signe également les décors et la chorégraphie) comprend que le formidable potentiel vocal du Biélorusse mérite mieux que la caricature du potentat priapique. Elle en fait un archange interlope, pantalon rose et cuirassé d’argent, arborant orgueilleusement une surprenante paire d’ailes, attribut d’un obscur prince des ténèbres (« Addio, gentil fanciulla ») bientôt révélé en Esprit Paraclet sur des graves ensorceleurs (« Vi ravviso »), manipulant sous hypnose la contorsionniste-somnambule Lisa Pauton.
Lattuada jongle avec dextérité et non sans humour avec les codes dans une production qui exploite la veine décalée avec la Teresa de la mezzo ukrainienne Olga Syniakova. La mère de l’héroïne s’exhibe en opulente matrone harnachée d’une robe de mariée que l’on imagine plus appropriée aux frêles épaules de sa fille adoptive, ceci expliquant cela dans une symbolique du transfert paradoxal qui ne manque pas d’ironie. Elle justifie sa posture par une tenue vocale hardie, sans outrepasser un potentiel naturel et une expressivité bien exploités.
Des costumes qui valent décors écrivent la dramaturgie et mettent l’accent sur la sobriété assumée des vêtements du couple phare. Loin du théâtre d’accessoires, ici tout fait sens. Décors dépouillés, tranchants, aux fortes symboliques chromatiques : les protagonistes s’affrontent à découvert, sur de larges à-plats franchement définis. Aux vêtements volontairement banals d’Elvino répond la modeste petite robe blanche d’Amina : pâleur diaphane, couleur de la martyre. Lattuada préfère à juste titre mettre en relief l’extrême violence des rapports de couple, notamment lorsqu’Elvino arrache, en lieu et place de la bague de fiançailles, la chevelure de feu de sa belle devenue Christ femelle consumée de chagrin et bientôt ceinte d’une couronne maritale plus hérissée d’épines que chargée de fleurs d’oranger.
De Julia Muzychenko on retient en priorité la diction claire et soignée servie par une technique respectueuse à rendre l’exacte couleur de la phrase et la justesse de sa force dramatique (« Care compagno »). Elle exprime parfaitement la tendresse amoureuse (« Ah, non credea mirarti ») avec des aigus fringants et ductiles. Le Concours international de chant de Clermont-Ferrand a décidément du répondant : il s’agit jusqu’ici d’une distribution issue de la 27e édition en juillet dernier. Distribution sur mesure où l’Alessio de Clarke Ruth confirme par sa forte présence qu’il n’y a pas de second rôle sans vrai talent.
Seul à ne pas être issu du concours susmentionné, Marco Ciaponi s’empare du personnage d’Elvino sans coup férir et sans se perdre dans des prouesses vocales hors propos. Son médium onctueux demeure bien timbré et ses aigus stables ne souffrent à aucun moment d’écrasements dans l’aigu pour assumer sa colère (« Va’ ingrata »). Et puisqu’il faut un écrin superlatif à cette Sonnambula, c’est forcément le Chœur de l’Opéra Grand Avignon. Il s’impose comme un rouage majeur de la tension rythmique impulsée d’une baguette intraitable par Beatrice Venezi.
Et la Suisse dans tout ça ? Censée abriter les amours bucoliques de cette bluette inopinément décomplexée, elle se reconvertit dans une scénographie épurée à l’extrême et caressée des lumières savamment équilibrées de Christian Dubet. Mais elle est helvétiquement omniprésente dans la direction horlogère d’une redoutable efficacité et d’une parfaite sensibilité esthétique de la cheffe milanaise. Reconnaissons qu’elle a en main un magnifique outil : l’Orchestre national d’Auvergne. Attentifs à traduire chaque nuance bellinienne d’une partition qui n’en fait pas l’économie, ses pupitres jouent l’atout maître du raffinement et de la précision avec un sens des dynamiques que peuvent lui envier nombre de grands orchestres de fosse européens !