Dans la famille artistique des Jude, il y a Charles, le ci-devant danseur étoile de l'Opéra de Paris et directeur du ballet de celui de Bordeaux pendant plus de vingt ans, et il y a Marie-Josèphe que tous les musiciens appellent affectueusement « Majo » même quand ils ont été ses élèves au CNSMD de Lyon où elle a enseigné longtemps avant d'avoir sa classe à celui de Paris, voire à l'Académie d'été de Nice dont elle est devenue la directrice. Respectée – mieux : aimée par ses anciens élèves et ses confrères, cette pianiste est elle-même passée par les classes d'Aldo Ciccolini pour le piano, de Jean Hubeau pour la musique de chambre et enfin de Jean-Claude Pennetier pour tout le reste, c'est-à-dire apprendre à devenir un musicien à l'écoute des œuvres et des autres. Et comme elle était assez douée, elle a aussi obtenu sa licence de concerts... en harpe à l'École normale de musique.
C'est à cette musicienne singulière que La Scala Paris rend hommage en ce dimanche après-midi. La maison étant accueillante, on laisse le public entrer dans le hall plutôt que le laisser faire le pied de grue dans la froidure de cette fin janvier. Mais ce concert est d'un genre particulier : c'est une histoire de famille. Qu'on vous explique, parce que les familles recomposées peuvent parfois être compliquées : de son premier mariage avec Jean-François Heisser, Marie-Josèphe Jude a eu un fils Charles qui n'est pas moins doué que sa mère puisqu'il est entré au Conservatoire de Paris en classes de piano classique et de jazz. Elle vit aujourd'hui avec Michel Béroff. Et comme les familles d'hier et d'aujourd'hui s'entendent très bien, ils sont tous les quatre sur scène pour ce concert familial pour une, deux, quatre et enfin huit mains pour le bouquet final. Car c'est une sorte de feu d'artifice que ces musiciens ont donné devant un public chaleureux et judicieusement installé face aux pianos comme à l'habitude, mais aussi tout autour des instruments à même la scène, de façon à rendre encore plus intime cette rencontre. Si le cérémonial en prend un coup, la musique ne souffre pas de cette façon – sans façons justement – d'en faire qui semble déminer le trac et la présente sous un jour « partageux », comme disent les Normands.
La mère de famille entre donc pour la Chaconne de Bach arrangée pour la main gauche seule par Brahms, page dans laquelle les pianistes ne peuvent se raccrocher à aucune branche pour se tirer d'un mauvais pas, transcription dans laquelle Brahms tente le pari de retrouver la figure de l'archet du violon allant et venant dans l'air sur les cordes, de réinventer cette polyphonie imaginaire avec les seuls cinq doigts – et la pédale. Jude y est assez impériale et quelques petites scories, inévitables quand on prend des risques, renvoient à l'originel où le violoniste a lui aussi fort à faire dans ce sommet instrumental et spéculatif surmonté au prix de quelques égratignures qui ne font que renforcer la force émotionnelle de cette œuvre grandiose.