On a beaucoup écrit sur la dimension nationaliste de la musique de Dvořák, sur le rapport novateur du compositeur tchèque brièvement émigré aux Etats-Unis aux folklores, ainsi que sur la monumentalité et la simplicité de ses symphonies, dénuées du kitsch qu’on a pu leur adjoindre par la suite mais résolument tournées vers l’avenir et la communion, et la Nuit Debout ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Mais le rapport étroit d’un Dvořák, avant tout enfant de chœur puis organiste, à la musique religieuse est moins connu, tout comme l’important répertoire sacré qu’il a échafaudé tout au long de sa vie. C’est pourtant cet imposant et sublime Stabat Mater qui lui assura en partie une renommée internationale, bel écrin pour ce style éclatant mais sincère, oscillant plus que par la suite entre ombre et lumière pour les raisons que l’on connaît : le deuil insurmontable de pas moins de trois enfants durant la période de composition, de 1875 à 1877.

On comprend, dès les premières notes – un fa dièse disséminé sans affèteries de part et d’autres des pupitres, gonflant au fil de chromatismes descendants – que Tomáš Netopil partage avec Dvořák ce doux mélange de colère saine et de pudeur, que l’on ne saurait imputer à leur seule parenté tchèque. Mais force est de constater que seuls leurs compatriotes Václav Smetácěk et Jiří Bělohlávek, là où Rafael Kubelik et Nikolaus Harnoncourt prenaient le parti d’un lyrisme aux légers accents mahlériens, avaient eux aussi choisi d’opter pour une poigne lorgnant tantôt vers la rage, tantôt vers un nécessaire élan vital. Lent, solennel, à l’instar de l’austère et profonde basse Georg Zeppenfeld, parfait sur le  « Fac ut ardeat cor meum », ce Stabat Mater n’en oublie pas moins d’avancer, tout au long de ses dix mouvements, vers une lumière céleste comme seuls les hommes de foi peuvent la dépeindre.

Le pivot de la très belle marche funèbre « Eja Mater fons amoris », alternant éclaircies temporaires et ferveur sur les « fac » scandés par les chœurs comme un impératif, s’avéra particulièrement réussi, et doit vraisemblablement beaucoup à la direction minutieuse et exigente de Lionel Sow. Ainsi qu’au plaisir évident du Chœur, plus présent que l'Orchestre de Paris même, chez qui on sentit parfois, malgré une belle prestation – surtout côté cuivres – quelques approximations. Ce fut également aux parties chorales que l’on dût la douceur de la berceuse et la fluidité des échanges du « Tui nati vulnerati ». Les solistes s’avérèrent également formidables : Georg Zeppenfeld assura de beaux soli, et la soprane Aga Mikolaj porta avec saisissement les envolées du « Fac ut portem Christi mortem ». Les quelques émotions dont on aurait pu craindre l’absence dans la palette jalonnant le cheminement entre affliction et rédemption eurent également droit à de jolies apparitions : l’impressionnant ténor Dmitry Korchak fit entrevoir sans difficulté,  le temps de parties solistes et d’un efficace « Fac me vere tecum flere », le redouté pathos, ainsi qu’une certaine suavité, tandis que la mezzo Elisabeth Kulman insuffla de beaux accents tragiques à l’ « Inflammatus et accentus »

Aussi n’eut-on que rarement entendu de synthèse du Stabat Mater plus cohérente une fois le final « Quandus corpus morietur » atteint. La reprise de la grande montée du « stabat mater dolorosa », par mouvements conjoints descendants, atteignant cette fois un si final sur le « gloria » et donc une tonalité fièrement majeure comme résolution, appréhendé avec un rare sens du tempo par Netopil, s’enchaînant sur une succession la succession d’ « amen »  tour à tour fortissimo, fugato, puis piano, s’effaçant peu à peu jusqu’à une cadence finale, ne laissaient plus la place aux tourments exposés jusqu’alors. De quoi presque croire à la lumière céleste, ou du moins croire qu’une fois transcrite dans ces belles pages dvorakiennes, elle savait exister.

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