La colère gronde à Toulouse : en ce soir de première d’Orphée aux Enfers, le Chœur de l’Opéra national du Capitole se présente au complet sur scène pour déclarer sa solidarité professionnelle et syndicale avec le Chœur de l’Opéra de Toulon, dont le licenciement intégral a été annoncé trois jours plus tôt. Et entonne le fameux chœur des esclaves de Nabucco (« Va, pensiero ») avant de laisser place à l’opéra bouffe d’Offenbach et son mélange de fièvre révolutionnaire et de récit mythologique.

La mise en scène d’Olivier Py, dans cette coproduction entre le Capitole et les opéras de Lausanne et Tours, a parfaitement saisi et pensé les invariants universels de l’œuvre, ici présentée dans sa seconde version de 1874. Les décors et les costumes de Pierre-André Weitz marient différentes temporalités, évoquant la France du XIXe siècle tout en ajoutant des accessoires anachroniques pour caractériser les demi-dieux et divinités.
Les décors, formés de blocs verticaux, se combinent intelligemment pour se mouvoir, tantôt paysages déroulants, tantôt théâtre olympien, tantôt enfers industriels, ce qui donne, avec la danse, un mouvement permanent empêchant tout ennui tout en évitant la surcharge. D’ailleurs, la chorégraphie d’Ivo Bauchiero trouve aussi un équilibre entre gestuelle humoristique, lubrique et classique, sans jamais tomber dans l’un ou l’autre. Les corps sont montrés sans outrance, oscillant entre masques, cris et couvre-chefs évoquant des animaux et tenues de cabaret.
Les lumières de Bertrand Killy ne se révèlent vraiment qu’aux actes III et IV pour pouvoir mieux marquer la féérie du transfert aux Enfers : toute la scène devient rouge, bleue, verte lors du ballet des mouches et cette couleur persiste par bribes par la suite. Mais ce sont sans doute les dialogues parlés qui jouent un rôle-clef dans l’actualisation de l’opéra. On ne pourra pas citer toutes les répliques mémorables, du « Mars, et ça repart » jusqu’au « Il faut arrêter la raclette » que lance Orphée à Eurydice, en essayant de la traîner au sol !
Dans la fosse, Chloé Dufresne dirige l’Orchestre National du Capitole d’une main très dosée voire discrète, sans s’imposer. Elle est en revanche parfaitement en lien avec la gestuelle scénique, car chaque mouvement, chaque mimique, chaque saut est parfaitement synchronisé avec la musique, même quand il s’agit du plus petit micro-motif. Ce soin apporté au moindre détail est la marque de la production, avant même la considération des voix.
Sur le plateau, Cyrille Dubois livre un Orphée bien stéréotypé, violoneux ridicule et pédant, tenant plus à son violon qu’à son épouse. Les serpents qui dans le livret servent à piéger l’amant de sa femme sont transformés en glue par la mise en scène, ce qui permettra au personnage de se recoiffer, de recoller les morceaux (de son instrument) ou de jouer les colleurs d’affiches. La voix du ténor n’est volontairement pas projetée, mais plaît par ses passages maniérés en voix de tête et en parler-chanter. Marie Perbost badine quant à elle en Eurydice à pleine puissance, s’investissant corps et âme dans son rôle de femme insatisfaite. Mathias Vidal propose un Pluton sardonique, fortissimo, et animé d’une frénésie très defunèsienne. La palme revient sans doute à Marc Scoffoni, le plus complet : son Jupiter tonne et gronde vocalement, effectue des sauts gymniques sur scène et va jusqu’à voler, tenu par de minces cordes !
Adriana Bignani Lesca en Opinion publique commence un peu timorée, couverte par un orchestre pourtant discret, mais parvient à se hisser au fur et à mesure des actes en tête de cortège. Si Anaïs Constans (Diane), Marie-Laure Garnier (Vénus) et Céline Laborie (Junon) rappellent sans difficulté toutes leurs compétences, Julie Goussot et Enguerrand de Hys sont plus en retrait, la première en livrant un Cupidon quelque peu fade et le second en incarnant un Mercure qui s’agite beaucoup mais est souvent masqué vocalement. In fine, Eurydice et l’Opinion publique, à l’image de l’œuvre d’Offenbach, se métamorphosent dans la joie et l’allégresse.