Lundi 20 juillet se tenait au Royal Albert Hall le “Prom 5”, comme disent les connaisseurs, soit le cinquième concert de la série principale des BBC Proms, plus grand festival de musique classique au monde. Une symphonie de Haydn et le pétillant ballet Petrouchka de Stravinsky encadraient une création de HK Gruber pour percussions solistes et orchestre. Pour l’occasion, le BBC Philharmonic sous la baguette de John Storgårds était rejoint par Colin Currie. Une soirée agréable, traversée par des moments d’une belle intensité, sans être inoubliable pour autant.

Le Royal Albert Hall… Quel endroit magique pour assister à un concert ! Une arène gigantesque, habillée par des lumières aux couleurs variées, surplombée d’un immense dôme couvert de grands ballons blancs, animée par les nombreux spectateurs rejoignant leurs places aux différents niveaux (plus de 5 500 places en tout dont les places debout au centre du cercle). C’est une expérience qui vaut vraiment d’être vécue. Il y a forcément un “mais” ; dès les premières mesures de la symphonie, le son de l’orchestre apparaît comme lointain, presque étouffé. Tout est audible, cependant la relative distance de la source sonore rend plus difficile le surgissement de l’émotion ; de prime abord, impossible de se laisser complètement envahir par la musique. Heureusement, le BBC Philharmonic connaît bien les spécificités du lieu, et parvient à compenser le défaut sonore en appuyant avec vigueur sur les accents affirmatifs du premier mouvement Vivace de la Symphonie n°85 de Haydn (1785), surnommée “la reine”. Du début à la fin, le chef construit et conduit efficacement le propos, sculptant de belles phrases porteuses, tantôt gracieuses dans le 2e mouvement, tantôt altières dans le 4e. Le style clair et joyeux du Haydn des symphonies parisiennes est restitué sans manières, avec une facilité prenant la forme d’une plaisante évidence.

Après l’entracte, le devant de la scène se retrouve intégralement occupé par des percussions. Elles sont en fait mises à la disposition d’un seul homme, le soliste Colin Currie, puisque la création de HK Gruber into the open... est un concerto pour percussions aux sons déterminés, et orchestre. Il s’agit du deuxième concerto pour percussions du compositeur, après Rough Music en 1983 qui lui était destiné à des percussions aux sons non déterminés (sons percussifs sans hauteur). Le titre into the open… (qu’on pourrait vaguement traduire par “sortir à l’air libre”) est extrait d’un poème de H.C. Artmann à la signification assez énigmatique. HK Gruber l’a choisi pour exprimer les ambiguïtés du concept de liberté : c’est un sentiment souvent considéré comme très agréable, porteur, empli de possibilités exaltantes, mais qui peut aussi effrayer parce qu’il rend vulnérable, exposé à la nouveauté et donc au danger. Tout cela, on le ressent dans la musique de HK Gruber, faisant alterner des passages méditatifs, planants (une musique “d’atmosphère”) et des moments rapides, aux rythmes précipités, où les percussions s’emballent et entraînent l’orchestre à leur suite. Ainsi, la progression de l’œuvre est conditionnée par la variation du niveau de tension, qui s'accroît et décroît sans cesse, ce qui détermine également les niveaux d’intensité (plus vite égale plus fort). Si la performance technique de Colin Currie est impressionnante, le fait qu’il joue successivement sur différents types de percussions, parfois pour quelques secondes seulement, donne l’impression d’assister à une simple démonstration de virtuosité, grâce à une utilisation du panel des percussions existantes en mode “catalogue”. Marimba, tambours, vibraphone, timbales, cloches, cajón, congas… Tous ces sons sont exploités tour à tour, parfois sans raison artistique apparente. Néanmoins, le concerto présente certaines trouvailles très séduisantes, comme l’arrêt brusque de la cacophonie orchestre/percussions pour laisser soudain place au silence et à la résonance des instruments (notamment le piano et la harpe, utilisés de façon tout à fait intéressante). Quels que soient les avis personnels des spectateurs, le public réserve un triomphe à la pièce lors des applaudissements.

La dernière partie de la soirée est réservée à une œuvre particulièrement savoureuse, Petrouchka de Stravinsky (1911), composée pour les Ballets Russes suite au succès de L’Oiseau de Feu (et avant le scandale du Sacre du Printemps en 1913). Les quatre tableaux sont fidèlement restitués par le BBC Philharmonic, avec notamment d’excellentes flûtes ; toutefois la direction de John Storgårds ne laisse pas assez s’exprimer la folie aigre-douce si particulière qui imprègne l’œuvre. On ne rit pas, on sourit à peine, même pendant le “pet” du tuba ! C’est une interprétation très propre, très correcte, mais peut-être trop sage pour une musique émaillée d’ironie (superposition de mélodies dans des harmonies différentes, ralentissements cocasses, dissonances, etc). En résumé, la rêverie et le divertissement sont bien présents, mais il n’y a pas dans le jeu des musiciens autant de degrés d’émotions que dans l'écriture incisive de Stravinsky. Ce qui fait qu’on reste un peu sur sa faim.

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