Être un jeune instrumentiste dans le milieu de la musique classique est un éternel défi : tenter un renouvellement dans des pièces ou des formes figées dans le temps – d'autant plus codées quand on parle de musique de chambre, et surtout de quatuor à cordes – est une pente glissante sur laquelle peu de personnes arrivent à naviguer avec grâce. Mais les musiciens du Quatuor Arod, lauréats de nombreux concours internationaux, sont déjà connus et reconnus, tant et si bien que le terme de « rising stars » – nom du cycle à l’occasion duquel ils se produisent à la Philharmonie – semble un peu derrière eux.

La soirée s'ouvre sur le Quatuor à cordes opus 76 n° 6 de Joseph Haydn, œuvre finalement peu jouée en comparaison d'autres pièces de musique de chambre du compositeur. Dès le premier coup d’œil, le quatuor marque par un style particulier, un regard vif et chaleureux, presque défiant. Malgré une unité qui tarde à éclore – le violoncelliste Samy Rachid apparaît davantage comme le socle des autres – et quelques petites faussetés, il se dégage des quatre musiciens une grâce peu contestable ainsi que de grandes capacités techniques. Le phrasé et les nuances notamment sont très pertinents, rendant la pièce vivante et élégante, faisant honneur au style classique. Les quatre mouvements sont aussi distincts que quatre personnages différents – on note notamment un timbre incroyable dans l'« Adagio » dès la première note, très doux et fragile en contraste avec l'« Allegretto » précédent. Certains choix étonnent, notamment celui du premier violon Jordan Victoria d'utiliser des attaques sèches au point de légèrement faire crisser son archet, chose un peu trop agressive pour une œuvre classique.

L'équilibre et l'échange au sein du quatuor, jusque-là moins distinct, s'affirme dans la deuxième pièce du programme, le Quatuor à cordes n° 1 « Al Asr » de Benjamin Attahir. Jeune compositeur de pas encore trente ans, Attahir s'est déjà imposé comme une pierre angulaire du néo-classicisme et de la musique contemporaine instrumentale ; cette œuvre est là pour l'illustrer. C'est également un peu l'enfant du Quatuor Arod, qui l'a créée fin 2017 au Théâtre des Bouffes du Nord et la joue depuis régulièrement. Entre envolées lyriques et attaques violentes, le quatuor crée un moment unique avec cette pièce qui n'appartient qu'à eux. C'est le moment de briller pour certains, notamment le deuxième violon Alexandre Vu qui profite de quelques solos. Le violoncelliste semble le plus à l'aise avec une présence toute particulière, une expressivité toujours juste et jamais tape-à-l'œil. C'est sans doute le moment à retenir, celui où les quatre musiciens sont libres de mettre leur talent à l'épreuve du présent.

Après l'entracte, le concert se dirige vers sa dernière œuvre, le Quatuor à cordes opus 59 n° 3 de Ludwig van Beethoven. Peut-être est-ce le compositeur le plus difficile à aborder, et pourtant l’œuvre la plus connue du programme. Entre structure classique et caractère romantique, Beethoven est une contradiction ambulante, un défi d'interprétation qui sonne comme un cadeau empoisonné pour de jeunes musiciens. Les Arod ne semblent pas subir cela : au contraire, ils embrassent cette condition et décident de se jeter à corps perdu dans ce qui peut apporter le plus de bonheur, le simple plaisir de jouer l’œuvre d’un grand compositeur. L'interprétation est un peu convenue mais vraiment dynamique et impliquée, pleine de peine – comme dans l'introduction des quelques premières mesures, douloureuses et poétiques – et de joie. Le public applaudit sans retenue à la fin de cette dernière demi-heure, véritable challenge d'endurance et de concentration. 

Les Arod terminent par un bis, un arrangement de l'« Adagietto » de L'Arlésienne de Bizet. Originalement écrit par le quatuor Hermès, cet arrangement est une belle occasion de revivre la pièce par un autre prisme d'écoute. Tout en douceur, les musiciens jouent avec leurs sourdines de lentes harmonies tendres et vibrées, pour finir la soirée comme dans un rêve.

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