Cette production du Trouvère s'annonçait bien, voire très bien - la mise en scène est initialement séduisante et sert l'intrigue complexe et rythmée, le casting est brillant et compte même une révélation vocale. C'est pourquoi la sévère chute de tension opérée lors de la seconde partie a surpris au plus haut point. Que s'est-il donc passé au cours de l'entracte ?
La mise en scène de Charles Roubaud n'est pas novatrice mais est de prime abord séduisante. Il présente l'intrigue sous un angle plus actuel avec des gardes qui deviennent des soldats plus contemporains ainsi qu'un camp de bohémiens qui fait penser à des camps de Roms actuels. La scénographie est aussi intéressante avec un plateau divisé en deux étages : une pente assez impressionnante vient en effet couper le mur du théâtre antique dans la longueur et permet aux personnages de se déplacer en hauteur. Cette disposition rend notamment possible une entrée au couvent de Leonora très réussie avec les religieuses sur la partie supérieure du plateau toutes de blanc vêtues. Enfin des projections (notamment la forêt projetée sur le mur à l'acte I) et quelques rares éléments de mobilier (des lits de camps, une roulotte, une charrue et trois chaises) viennent compléter cette scénographie épurée.
Mais après l'entracte les rares trouvailles disparaissent et les chanteurs semblent se livrer à une interprétation concertante de l'œuvre, au mieux à une mise en espace. Ils entrent sur le plateau, chantent leur air et ressortent. On pouvait alors aisément trouver plus d'intérêt et d'action à regarder la fosse d'orchestre que le plateau. Dommage que les belles images qui nous avaient été offertes à voir lors de la première partie ne trouvent pas d'écho aux actes suivants.
Roberto Alagna est une indéniable bête de scène doté d'un incroyable charisme. Tout son registre médium est superbement timbré et placé, son articulation absolument exemplaire. Son interprétation est celle d'un héros courant sans rechigner au sacrifice pour sa mère. Sans manière, sans afféteries, Roberto fonce. Et c'est ce qu'on aime chez lui, à savoir qu'il n'est jamais dans la demi-mesure. Il remplit sans peine l'immense Théâtre antique par une puissance sans faille. Cependant, en ce soir de première, notre ténor national accuse une certaine fatigue dans la voix qui le rend plus vulnérable. Ses aigus sont souvent tendus voire dangereusement métalliques.
Soulignons l'incroyable performance d'actrice offerte par la contre alto canadienne Marie-Nicole Lemieux. Tout à fait crédible malgré une articulation pas toujours intelligible, elle présente une Azucena torturée à souhait, en particulier dans sa scène et son duo du deuxième acte. Cependant, elle semble moins à l'aise qu'à l'ordinaire : le legato chute, le vibrato prend le relai à outrance et certains aigus ont tendance à plafonner. La voix de poitrine n'est pas toujours utilisée de la manière la plus élégante mais, cela dit, il semble que le drame y gagne.