On est assez loin du Casino et des fameuses planches quand on vient à Deauville assister au Festival de Pâques. C’est en effet à l’écart du centre ville, dans la salle Élie de Brignac – où se déroulent habituellement les ventes de yearlings –, que s’est installée la double manifestation musicale – au Festival de Pâques créé en 1997 succède l'Août musical depuis 2002. Au fil des ans, les aménagements successifs ont rendu les lieux moins spartiates et en font aujourd’hui une salle de concert idéale pour la musique de chambre.

Justin Taylor © Claude Doaré
Justin Taylor
© Claude Doaré

Le public de Deauville n'est pas de première jeunesse, mais il adhère depuis bientôt 30 ans à ce qui fait l’originalité de ce Festival de Pâques depuis sa fondation par Yves Petit de Voize et un quatuor de jeunes musiciens (Nicholas Angelich, Renaud Capuçon, Jérôme Pernoo et Jérôme Ducros) : un harmonieux cocktail entre références et découvertes côté répertoire, et un heureux mélange entre générations de musiciens, dont beaucoup sont nés à la carrière ici.

Ce vendredi soir, la découverte est d'abord dans les sonorités des instruments joués sur le plancher de bois clair qui tient lieu de scène : le pianoforte de 1780 prêté par un collectionneur privé a peut-être été joué par Mozart, comme le suggère Justin Taylor, et les vents de l'Ensemble Sarbacanes sont tous de facture ancienne, comme va le rappeler avec autant de science que d'humour le hautboïste Gabriel Pidoux.

Mozart ouvre le programme avec la Fantaisie en ré mineur. Sous les doigts de Justin Taylor, c'est bien la fantaisie, la liberté, l'imagination qui dominent dans cette pièce plutôt brève qui contient tout le génie créateur du compositeur. Il faut certes s'habituer à un son qui n'a évidemment rien à voir avec ce que donne un Steinway, mais que l'interprète peut varier dans l'expression comme dans l'intensité.

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Justin Taylor et l'Ensemble Sarbacanes
© Claude Doaré

Puis, toujours d'un Mozart de 28 ans, c'est le Quintette pour piano et vents que le compositeur décrit dans une de ses nombreuses lettres comme « sa plus grande œuvre ». Cet alliage, qui est une première dans l'histoire de la musique, est en réalité un concerto en miniature. Les vents se placent à l'arrière (cor et basson) et sur le côté droit (clarinette et hautbois) du pianoforte. C'est un peu frustrant pour l'aspect visuel mais totalement convaincant pour le rendu sonore, puisque le pianoforte n'est pas couvert par ses bruyants camarades. Mozart réserve à chacun d'eux des traits tour à tour virtuoses ou élégiaques, magnifiés par les sonorités si fruitées, si expressives de leurs instruments et surtout l'enthousiasme communicatif des interprètes.

Dans le quintette pour la même formation de Beethoven qui conclura la soirée, les mêmes causes produisent les mêmes effets. On n'a jamais entendu ces deux quintettes joués avec autant de fantaisie, de jubilation. Justin Taylor nous aura entretemps prouvé que Carl Philipp Emanuel Bach n'est pas que le « fils de », mais qu'il invente un style, débride son expression dans des guirlandes de variations sur les Folies d'Espagne.

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Pierre et Théo Fouchenneret, et François Salque
© Claude Doaré

Le lendemain, c'est une autre joyeuse équipe qui prend place pour un programme plutôt costaud. L'immense Trio op. 50 de Tchaïkovski (près de 50 minutes !) n'est vraiment pas notre tasse de tchaï, mais c'est paraît-il l'œuvre préférée du maire de Deauville présent ce soir (et à l'origine du festival en 1997). Pierre et Théo Fouchenneret ainsi que François Salque auront réussi le tour de force de nous passionner tout au long de cet étrange trio qui commence et s'achève par une élégie funèbre et enchaîne une douzaine de variations qui sont autant de sautes d'atmosphères. Le piano de Théo est impérial autant qu'impérieux (c'est le grand Tchaïkovski des concertos), ses partenaires y mettent une ardeur folle, sans que cela dégouline de sentimentalisme « à la russe » comme l'œuvre pourrait y prêter.

Auparavant, Yves Petit de Voize avait programmé le Premier Quatuor avec piano de Saint-Saëns, une rareté au concert, que les interprètes n'ont malheureusement pas eu le temps de répéter entre leurs divers engagements loin de Deauville. Ils ont proposé de jouer un de leurs chevaux de bataille, le Seconde Quatuor avec piano de Fauré. Les frères Fouchenneret et François Salque rejoints par l'alto si éloquent de Lise Berthaud nous mènent à des sommets de puissance, d'engagement, de chaleur et d'émotion qui nous offrent le vrai visage d'un compositeur trop souvent joué avec des prudences de salon.

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Pierre et Théo Fouchenneret, Lise Berthaud et François Salque
© Claude Doaré


L'hébergement de Jean-Pierre a été pris en charge par le Festival de Pâques – Août musical de Deauville.

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