Retour à la Salle Marcel Pagnol dans laquelle se donnent quasi chaque jour des récitals, dans des conditions de fraîcheur appréciables et sans le bruit infernal des cigales qui ruinait quand même à peu près tous les récitals qui se donnaient avant que la nuit ne tombe dans le magnifique parc où se tient l'âme du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron. Cette petite salle de belles proportions jouxte une bien plus grande capable d'accueillir un orchestre en cas d'orage.

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Ido Zeev à La Roque d'Anthéron
© Valentine Chauvin

Cet après-midi, nous sommes venus écouter Ido Zeev, un tout jeune pianiste israélien formé dans son pays et en Europe : il a ainsi travaillé avec Nikolaï Lugansky, Evgeny Kissin, Christoph Eschenbach, Menahem Pressler, Michel Béroff. Actuellement, il se perfectionne avec Arie Vardi à Hambourg et avec Florence Millet à Cologne. Martha Argerich l'a adoubé après son 3e Prix au Concours international de Vigo en Espagne dont elle était présidente du jury. Et elle l'a fait jouer il y a quelques semaines, à Hambourg dans son festival, avec l'Orchestre d'Oxford où il a remporté un grand succès. De lui, elle dit qu'il est « un grand talent, un pianiste brillant, un musicien très investi et sensible. »

Le voici faisant ses débuts à La Roque. Mince, costume bleu nuit, chemise blanche, il s'avance un peu tendu vers le piano, mais souriant et dégageant une aura très naturelle. Que joue-t-il ? Une sonate de Scarlatti ? Non ! Il improvise une bonne trentaine de secondes pour entrer avec douceur dans le la mineur du Rondo KV 511 de Mozart qu'il va jouer avec un équilibre parfait entre une articulation précise et une sonorité ronde, profonde et boisée. On a peine à croire que c'est le piano que jouait la veille, à la même heure, Novak Defrance. Ce rondo est redoutable, il faut en habiter la douleur mais sans insister, il faut en varier les articulations, tenir en haleine l'auditeur qui peut rapidement se perdre dans ses circonlocutions si le pianiste s'absente, car lui-même ne pourra pas revenir dans la ronde.

Ido Zeev à La Roque d'Anthéron © Valentin Chauvin
Ido Zeev à La Roque d'Anthéron
© Valentin Chauvin

Ido Zeev est là, présent en chaque note, hypersensible mais son propos s'exprime dans un cadre tenu de main de maître. Impressionnant. Vient la Sonate en ré majeur KV 311, pas la plus facile, pas la plus palpitante au premier abord, mais l'une des plus solidement structurées de la série, bien qu'elle ait quelque chose de haydnien dans certains passages et un finale grandiose. Le jeu est direct, incarné, intense mais sans une once de sentimentalité, l'allure toujours juste et équilibrée, les tempos évidents en raison du métronome mais aussi et surtout du poids du son et de phrases tenues jusqu'au bout. C'est un Mozart qui chante et semble une réduction d'orchestre au piano. C'est remarquable et passionnant.

Comme cela le sera dans la Sonate op. 110 de Beethoven dont Ido Zeev maitrise la forme de chaque mouvement, l'improvisation apparente du premier comme les coups de boutoir du second. Et le pianiste sait s'insinuer dans l'enchainement inéluctable des arias et des fugues qui conduisent vers cette fin qui marque le retour à la vie du compositeur dans une partition parsemée d'indications toutes plus émouvantes les unes que les autres. Sans jamais se départir de l'autorité qui vient naturellement à ceux qui savent où aller, Ido Zeev laisse néanmoins la petite part d'incertitude qui rend les ariosos si déchirants et sait reprendre la parole quand il faut redresser la tête et triompher dans la seconde fugue. C'est un modèle d'interprétation beethovénienne, de la part d'un jeune homme de 25 ans.

Vient Chopin et sa Polonaise « héroïque » qu'on ne joue plus guère tant il est risqué d'y être comparé aux grands anciens. Ido Zeev ne se démonte pas et la joue en musicien, sans effets de manche, mais avec un équilibre souverain et une expression profonde et noble.

Le public lui demande un bis : ce sera sa propre transcription pour piano seul du Tzigane de Ravel ! Quelle géniale idée de confier à la main gauche seule toute la grande cadence du violon qui ouvre l'œuvre avant que le luthéal, le piano ou l'orchestre n'entre, puisqu'il en existe trois versions. Plus qu'une transcription, c'est un arrangement qui rend hommage au Concerto pour la main gauche tout en magnifiant la musique tzigane et juive... en respectant Ravel qui aurait aimé cette réécriture respectueuse et ingénieuse de sa musique. Ido Zeev déploie un jeu d'une virtuosité, d'une ferveur, d'une finesse et d'une grandeur mêlées qui plongent le public dans une joie inextinguible.


Le séjour d'Alain a été en partie pris en charge par le Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron.

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