Le lendemain d'un récital au Domaine Pommery, c’est le joli cocon à l’acoustique très satisfaisante du Manège de Reims qui accueille les pianistes Adam Laloum et Jonas Vitaud dans un très beau programme pour deux pianos où vont se succéder deux grandes œuvres séparées par un court interlude : la Mazurka elegiaca de Britten, composée en 1941 à la demande de l’éditeur Ralph Hawkes en guise d’hommage au grand pianiste, compositeur et homme d’État polonais Ignacy Paderewski qui venait de décéder. S’il n’a pas grand-chose à voir avec les mazurkas de Chopin dont Paderewski était un interprète de premier plan, ce bref morceau – qui devint ensuite la deuxième des Deux pièces pour piano op. 23 – réussit à captiver par son mélange très intrigant et ambigu d’élégance et de tristesse digne, parfaitement rendu par les deux musiciens. 

Adam Laloum et Jonas Vitaud aux Flâneries musicales de Reims © Alain Hatat
Adam Laloum et Jonas Vitaud aux Flâneries musicales de Reims
© Alain Hatat

C’est par les Variations sur un thème de Haydn de Brahms que débutait le programme. La sûreté de la technique et l’intelligence du propos du duo sont telles qu’on n’a plus qu’à se laisser aller au plaisir d’écouter cette merveilleuse pièce, si rare au concert dans cette version originale. Il n’y a vraiment que du bien à dire de cette prestation où l’on admire l’esprit de la Variation II, la poétique Variation IV, la spirituelle Variation V, la Variation VI pleine de caractère, le charme pastoral de la Variation VII et une Passacaille finale où la virtuosité du duo enchante dans ce qui est un vrai steeple-chase d’octaves, d’arpèges et de gammes parfaitement roulées.

Si Adam Laloum et Jonas Vitaud sont aussi physiquement dissemblables que faire se peut – le premier petit et mince, le second grand et costaud –, ils constituent un admirable duo agissant en parfaite symbiose. C’est non seulement de la magnifique musique mais aussi du superbe piano qu’on entend ici, les duettistes bénéficiant en outre de deux beaux Steinway parfaitement réglés.

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Adam Laloum aux Flâneries musicales de Reims
© Alain Hatat

Rachmaninov comptait moins de 20 ans lorsqu’il composa en 1893 sa Suite pour deux pianos n° 1, dédiée à Tchaïkovski qu’il admirait tant. Originellement intitulée Fantaisie-Tableaux (en français dans le texte), l’œuvre est en quatre parties chacune précédée d'un poème de respectivement Lermontov, Byron, Tioutchev et Khomiakov, dont Jonas Vitaud eut l’excellente idée de donner lecture dans son introduction à cette partition aussi belle qu’exigeante pour les interprètes.

Le premier mouvement, Barcarolle, d’un fin romantisme sans lourdeur est un ravissement. Le début du second, La Nuit… L’Amour, permet à Adam Laloum de broder d’exquis arpèges qui paraissent transformer le piano en guitare mystérieuse. Et en effet, dans ce mouvement, c’est Jonas Vitaud qui prend pour son compte la narration alors que son compère l’entoure d’ornements filigranés. Dans la troisième partie, Larmes, les deux pianistes se montrent très sûrs dans la gestion de la tension, progressive et mesurée. Enfin, dans le dernier mouvement, Pâques, c’est à toute volée que sonnent les cloches pour conclure une interprétation de la plus haute tenue.

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Jonas Vitaud aux Flâneries musicales de Reims
© Alain Hatat

Accueil enthousiaste du public, récompensé par un magnifique bis : le mouvement lent (Romance) de la Deuxième Suite pour deux pianos de Rachmaninov où le dernier accord, parfaitement posé par Adam Laloum et Jonas Vitaud, met un point final à un récital de très grande classe.


Le voyage de Patrice a été pris en charge par les Flâneries musicales de Reims.

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