Organiser un concours d'opérette : tel était le formidable coup publicitaire imaginé par Jacques Offenbach en 1856 pour promouvoir son jeune Théâtre des Bouffes Parisiens. Les règles en étaient simples : tous les concurrents devaient mettre en musique une pièce en un acte — Le Docteur Miracle — de Léon Battu et Ludovic Halévy. Désignés lauréats ex-aequo, Georges Bizet et Charles Lecocq se partagèrent donc pendant quelques semaines la tête d'affiche aux Bouffes Parisiens. Mais aujourd'hui, si l'on programme volontiers la version de Bizet, on donne bien plus rarement celle du compositeur de La Fille de Madame Angot. C'est pour remédier à cette injustice que le Palazzetto Bru Zane proposait au public du Studio Marigny de découvrir la partition de Lecocq.
L'intrigue de ce court opéra-comique reproduit des schémas issus directement de la commedia dell'arte. Laurette et le capitaine Silvio s'aiment mais le podestat de Padoue (et père de la jeune fille) s'oppose à leur union. C'est en échange d'une guérison « miraculeuse » et sous les traits du docteur Miracle, charlatan des rues, que le militaire obtiendra enfin l'autorisation paternelle. Amours contrariés, comique troupier et omelette empoisonnée : le livret ne manque pas de rebondissements et de passages truculents qui imposent aux chanteurs de manifester de véritables qualités d'acteurs.
C'est tout de rouge vêtus que les protagonistes évoluent sur scène dans la mise en scène de Pierre Lebon. Des affiches, quelques caisses emboîtées, des trappes et une échelle suffisent à composer un décor rudimentaire mais efficace, au sein duquel les personnages jaillissent comme des diables de leurs boîtes. Le metteur en scène s'est d'ailleurs également réservé un petit rôle : celui du domestique renvoyé, devenu assistant du docteur Miracle. Cet ajout n'est pas la seule entorse faite au livret. Toute une partie introductive, composée d'un soliloque et d'une courte pantomime a été ajoutée à la pièce de Battu et Halévy. Ces petits amendements ne sont pas un contresens historique, au contraire, mais ils sont parfois peu convaincants, surtout lorsqu'il s'agit d'ajouts de texte.
Quoi qu'il en soit, c'est avec beaucoup d'entrain que les quatre chanteurs s'emparent de la partition de Lecocq. Mettant toutes les qualités de son soprano au service des exigences d'une voix légère, Makeda Monnet brille dans le rôle de la jeune Laurette. Après des débuts légèrement timides, en particulier dans les passages parlés, la chanteuse s'épanouit dès les premières notes de sa romance « Ne me grondez pas pour cela / Est-ce ma faute si je l'aime ». Le timbre est cristallin et clair, l'intonation à toute épreuve. Dans les ensembles, la vélocité avec laquelle la chanteuse s'attaque à certains traits la font bien souvent dominer la masse vocale.
Makeda Monnet n'est pas la seule à tirer son épingle du jeu. Dans le rôle de la femme du podestat, Lara Neumann fait ressortir avec aisance le caractère gouailleur d'un personnage au soprano plus sombre. Les rôles masculins, quoiqu'interprétés avec moins de brio, ne sont pas en reste. David Ghilardi campe un capitaine Silvio plein de dynamisme, mettant à contribution un ténor hâbleur. Dans le rôle du podestat de Padoue, le baryton de Laurent Deleuil semble par moments limité, peinant à prendre une ampleur suffisante dans les ensembles, notamment dans le fameux quatuor « Voici l'omelette ». Il faut toutefois reconnaître que les chanteurs font tous preuve d'une élocution irréprochable, qualité rare quand elle est commune à l'ensemble d'un plateau vocal et surtout indispensable dans ce type de répertoire.
Sur le côté de la scène, flegmatique, Martin Surot tient la partie de piano avec une redoutable alacrité. Interpréter sans monotonie une réduction d'orchestre n'est pas toujours une tâche aisée, mais c'est avec beaucoup d'adresse que le pianiste s'en acquitte, apportant un éclairage différent à chaque scène.
Cette réjouissante production, quoique provoquant chez son public une aversion subite pour les omelettes, vaut la peine d'être dégustée !