On multiplierait les épithètes à l’envi que cette Deuxième Symphonie de Gustav Mahler resterait inqualifiable, et pour cause : ses quatre-vingts minutes d’exécution pour grand orchestre, doublé d’un orgue et d’une fanfare en coulisse, auxquels s’ajoutent deux voix solistes et un chœur mixte, sont l'œuvre d'un compositeur qui cherche à s’affranchir des normes symphoniques traditionnelles. Cette démesure de la forme égale la démesure du propos, puisque la partition propose rien de moins qu’une épopée d'outre-tombe en cinq mouvements. À la tête de l’Orchestre Philharmonique et du Chœur de Radio France, Mikko Franck donne à entendre une Résurrection débordante de ferveur, dont l’excès (maîtrisé) confine à l’extase.

C’est en architecte que Mikko Franck aborde cette colossale Deuxième Symphonie, où le souci du détail ne compromet jamais la cohérence de l’ensemble : malgré l’éclairage porté sur certains traits de l’écriture polyphonique, sur les mélopées boisées ou les cantilènes de violoncelles, la logique interne semble cousue d’un seul fil, comme un arc narratif tendu de la première à la dernière mesure et qui confère à l’œuvre sa structure monumentale. De la mise au tombeau initiale à la résurrection finale, la partition propose une suite d’épisodes à l’apparence hétérogène, auxquels le maestro donne une cohérence comparable aux frises sculptées des temples grecs. Les agitations rythmiques prescrites par Mahler sont imperceptiblement appliquées par le chef – l’élan des vorwärts, la retenue des zurückhaltend – et procurent un poignant sentiment de détresse voire de fatalité. La direction de Mikko Franck, qui ne répond à aucun système, est constamment guidée par la nécessité dramatique qu’il ne cesse de mettre en valeur, quitte à parfois – non sans rappeler un Klaus Tennstedt – se faire démiurge lui-même, absorbé notamment par le finale qui ne peut souffrir de froide distance.
À la qualité architecturale du dessin répond la qualité du matériau orchestral du Philharmonique de Radio France. Ferme mais non moins agile, le contingent des cordes sert à la fois de fondation et d’ornement à l’édifice. Véritable morceau de bravoure des contrebasses, le premier mouvement se pare de sombres couleurs dans la solennelle marche funèbre – trémolos inquiets des cordes aigües, motifs féroces des cordes graves – alors que le quatuor se fait aimable et molto espressivo dans le mouvement suivant, un ländler aux pizzicati irréprochables. Tapissé du tissu moiré des cordes, la matière musicale s’étoffe des chatoiements d’une petite harmonie d'une grande justesse : dans le second mouvement, les flûtes sont enchanteresses et les clarinettes chantantes, avant que des anches doubles diaboliques et grimaçantes ne s’emparent du scherzo ironique. Très sollicités par la composition, les cuivres du Philhar' sont capables des plus fragiles et piégeux pianissimos comme du plus tonitruant forte. L’instabilité de ces climats amène le pupitre de cors à se faire aussi bien feutré que brillant, les trompettes à palette délicates et perçantes, tandis que les trombones doublés du tuba renforcent les fondations harmoniques des « Pesante » – rythmés par deux timbaliers remarquables de justesse, tant dans les nuances et les couleurs que dans leur coordination. Capable de bâtir et de fondre ces atmosphères aussi radicales, du « Misterioso » au « Maestoso », la phalange radiophonique crée un écrin sur-mesure pour le chœur et les deux solistes.
Gerhild Romberger s’accommode parfaitement de la solennité voulue par le compositeur dans l’intimité du quatrième mouvement, et s’empare de cet « Urlicht » avec une affectation retenue ; si la teinte antique de la contralto s’assèche dans le bas de sa tessiture, la chanteuse fait entendre un timbre riche dans le médium et les aigus. Malheureusement, la soprano Golda Schultz manque de recueillement : son vibrato excessif, ses attaques trop fermes, ses pianissimos trop sonores ne siéent pas au caractère spirituel du cinquième mouvement. Le finale est en revanche très bien réalisé par le Chœur de Radio France qui, malgré un léger manque d’ensemble, parvient à rendre audibles les voix intermédiaires des altos et des ténors tout en soignant les textures harmoniques, du choral le plus ténu au plus retentissant unisson.