Tous les festivals ne se renouvellent pas en permanence comme celui de La Roque d'Anthéron sait le faire, l'air de rien. Il a toujours laissé une belle place à la musique du XXe siècle, au jazz et à la transmission, mais la façon d'aborder ces trois axes de programmation bouge sans cesse. Cette année fut celle du retour remarqué du jazz et de la place singulière consacrée à la musique contemporaine grâce à des monographies de compositeurs fondées sur l'exemple, l'explication, l'interprétation.

Un musicien – et quel musicien ! –, le pianiste Florent Boffard, quitte un temps son clavier pour se muer en présentateur : il incarne cette démarche. René Martin, le directeur artistique du festival, aime créer les conditions à la réalisation des projets quand ils obéissent à un désir profond chez les musiciens à qui ils sont alors confiés. Boffard était vraiment l'homme de la situation : sa connaissance intime des œuvres des compositeurs choisis, sa grande maîtrise de la transmission – c'est un professeur admiré par ses élèves – font que le public est admirablement guidé, et d'une façon modeste et empathique à l'égard de tous.

Florent Boffard à La Roque d'Anthéron © Pierre Morales
Florent Boffard à La Roque d'Anthéron
© Pierre Morales

Une journée entière consacrée à Michael Jarrell, le 7 août, une autre à Gérard Pesson, le 8, plus une rencontre le 9, avec l'ethnomusicologue Simha Arom, grand ami de György Ligeti, avant l'exécution publique du Concerto n° 3 de Bartók et de celui de Ligeti, le soir sous la conque du parc, c'est quand même un grand luxe ! Chaque journée est divisée en trois : répétition publique en fin de matinée, interview à 16 h 30 puis concert à 18 heures, dans le Centre Marcel Pagnol devant un public nombreux et attentif. Il était passionnant d'entendre Pesson nous entretenir avec un humour discret et chaleureux, une grande pudeur et des mots choisis, de son amour pour la musique de Gabriel Fauré assez rarement convoquée, comme il le précise, par les compositeurs contemporains et qu'au fond bien peu de musiciens et de mélomanes connaissent dans ces trois périodes si différentes l'une de l'autre, ajoute-t-il incidemment. Il la connaît, lui a consacré du temps, ne serait-ce que pour transcrire pour trio à cordes une des Treize Barcarolles, et au souvenir de laquelle il a plié son inimitable musique aphoristique, à la fois descendante du Stravinsky pensant à Ravel dans la troisième des pièces de La Lyrique japonaise, du Ravel des Madécasses...

Comme les auditeurs ont pu s'en apercevoir lors du concert, dans sa musique, Pesson fuit le sentiment pour investir l'essence même du son voire du geste le produisant, sans pour autant le faire entendre pleinement, faisant sienne la concision extrême de Chopin et Webern. On est dans le raréfié, le presque rien qui laisse à l'auditeur une place pour qu'il s'immisce dans cet espace poétique. Pesson est un compositeur majeur de notre temps qui incarne une voie esthétique radicale mais accessible à toute oreille ouverte sur les espaces infinis du silence et des vibrations qui en surgissent fugitivement. Les jeunes interprètes réunis pour quatre des pièces du compositeur – dont la création française de Music for Newport – avaient la concentration, la préparation et la délicatesse requises. Ses élèves en classe de composition au Conservatoire national supérieur de Paris ont beaucoup de chance d'avoir un tel maître du temps et de l'espace.

Loading image...
Anne Queffélec à La Roque d'Anthéron
© Valentine Chauvin

La Roque d'Anthéron, c'est aussi bien sûr le grand répertoire et deux concerts du soir sont venus le rappeler. D'abord Adam Laloum dans un Concerto n° 2 de Brahms dont l'intensité n'a jamais failli du premier au dernier accord, soutenu par Aziz Shokhakimov et le Sinfonia Varsovia dont il faut souligner le jusqu'au boutisme de musiciens qui jouent tous de façon concernée, du premier au dernier rang, comme le notait si admirativement Loïc Rio, second violon du Quatuor Modigliani, après le concert donné par Anne Queffélec. Une fois encore devant des gradins quasi combles, celle-ci a interprété Mozart, cette fois-ci le Concerto n° 27 en si bémol KV 595, comme on connaît bien peu de pianistes capables de le faire : elle est toujours à l'écoute de l'orchestre et du chef qui en retour sont suspendus aux phrases qu'elle chante avec une sophistication d'articulations aussi subtile que naturelle, une science aussi qui fait que la pianiste « bouche » les trous laissés par Mozart dans la partition imprimée sans jamais se hausser du col. Technique parfaite, son précis et chaleureux, jeu concentré duquel jamais Queffélec ne s'absente, orchestre en phase, avec un Shokhakimov précis et souple, des vents de rêve et des cordes rondes et chantantes. La pianiste revient pour un moment de pure magie : le Menuet en sol majeur de Haendel transcrit par Kempff. Après ? Une Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák qui prend les indications du compositeur pour des choses sérieuses qu'il faut suivre : donc très vive dans le premier mouvement, rêveuse dans le deuxième, soulevée de terre dans les troisième et quatrième avec un Sinfonia Varsovia toujours au taquet ! Euphorisant.

Loading image...
Aziz Shokhakimov et le Sinfonia Varsovia
© Valentine Chauvin

Le voyage d'Alain a été pris en charge par le Festival international de piano de La Roque d'Anthéron.

****1