Ce n’est pas d’hier que la musique classique a adopté les codes de la variété : une tournée pour « vendre » un nouveau disque, c’est ce qu’ont entrepris le Quatuor Hanson et le pianiste Adam Laloum qui publient chez harmonia mundi les trois quatuors et le quintette avec piano de Robert Schumann. Ils vont en jouer ce soir les deux pages les plus représentatives dans l’acoustique idéale du Théâtre des Bouffes du Nord.

Le Quatuor Hanson et Adam Laloum © Marco Borggreve
Le Quatuor Hanson et Adam Laloum
© Marco Borggreve

Ce programme aurait pu s'intituler « L'année 1842 ». En effet, un an après son mariage avec Clara Wieck, la composition de sa Première Symphonie et des esquisses de ce qui deviendra son Concerto pour piano, Schumann va produire en quelques mois à Leipzig une floraison de chefs-d'œuvre de musique de chambre, parmi lesquels figurent les pages enregistrées par les musiciens et proposées ce soir en concert. 

Les Hanson ont choisi le Premier Quatuor. L'influence de Mozart et de Beethoven est immédiatement perceptible, dès l’Andante espressivo introductif suivi d'un Allegro de facture très classique. Les musiciens semblent pourtant sur la réserve, l’alto et le violoncelle en retrait, comme s’ils cherchaient leurs marques. Le discours reste tendu jusqu’au scherzo qui suit : celui-ci libère les archets, les Hanson privilégient l’énergie à la légèreté dans ce mouvement où le tribut du compositeur à son dédicataire Mendelssohn est évident. L’Adagio est d’une sérénité plutôt inhabituelle chez Schumann même s’il est parcouru de quelques ombres. Les Hanson pourraient y oser plus d’abandon et de mystère. Ils vont se libérer complètement dans l’effusion joyeuse du Presto final, qu’on croirait écrit par le Mendelssohn de l’Octuor.

Sans doute pour éviter une overdose de Schumann, les Hanson proposent ensuite l'unique Quatuor d'Alban Berg en deux mouvements et d'une durée plus brève, vingt minutes seulement. Créé en 1911, cet opus est très daté, très représentatif dans ses formules mélodiques comme dans son travail harmonique de ce que par facilité on a appelé Seconde École de Vienne – le triomphe du dodécaphonisme. Les musiciens évitent cependant la sécheresse, l'aridité même qui prévalent chez bien de leurs aînés.

La seconde partie est très attendue. Le Quintette avec piano de Schumann est l'un des sommets de la musique de chambre, les versions légendaires au disque sont légion. Et Adam Laloum qui rejoint le Quatuor Hanson n'a plus besoin de prouver qu'il est en terrain connu dans le romantisme allemand. Et pourtant les premières mesures de l'Allegro brillante initial vont nous paraître étrangement ternes, sans relief : c'est à peine si on entend le piano – couvercle pourtant ouvert – derrière le front des cordes. Le déséquilibre est patent... et pas à l'avantage du piano.

Durant tout ce premier mouvement, on a envie de dire au pianiste de mettre la gomme, de s'imposer, de « briller » finalement. Le deuxième mouvement sera mieux venu quant à l'équilibre entre cordes et piano, Adam Laloum s'y montre un poète moins timide, mais quelque chose manque de l'ordre de l'émotion qui nous saisit d'ordinaire au plus intime de la confidence schumannienne. Le scherzo est enlevé prestement mais sans précipitation. Et c'est dans le finale que semblent enfin se retrouver dans un même élan d'allégresse un pianiste qui a retrouvé des couleurs et un quatuor en pleine lumière.

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