Rachel Breen, jeune Américaine déjà portée au pinacle outre-Atlantique et bardée de grands prix, donnait son premier récital en France ce jeudi 5 septembre. Faire venir à nous, révéler des artistes, c’est un privilège des grands festivals et le toulousain Piano aux Jacobins joue bien ce rôle. L’attente est donc grande !

Rachel Breen à Piano aux Jacobins © Alexandre Ollier pour le Couvent des Jacobins
Rachel Breen à Piano aux Jacobins
© Alexandre Ollier pour le Couvent des Jacobins

La clairvoyance de la composition de ce récital ne saute pas aux yeux quand on lit le programme, mais rétrospectivement, elle est fulgurante. Pour commencer, une sonate de Mozart. Pour conclure, une sonate de Beethoven. Entre les deux, les quatre Impromptus de Chopin sont entrecoupés de pièces méconnues de Berio, Moussorgski et Schönberg. Ces sept pièces centrales, jouées enchaînées, se suivent par paires de tonalités identiques, avec la Fantaisie-Impromptu en couronnement. L’impression de continuité, alors que les sauts dans le temps sont spectaculaires, est splendide.

Revenons à la Sonate K 330 qui introduit le récital. L’intelligence du jeu s'impose dès les premières mesures : sous ses répétitions apparentes, la partition est truffée de tous petits changements, ajouts, articulations, nuances, variations que Rachel Breen exprime avec une très grande justesse et une belle variété. L’Andante cantabile est vraiment andante et non largo comme souvent et chante merveilleusement : on l’écoute avancer, paisiblement. Tout au plus, dans l’Allegretto, aura-t-on une petite frustration dans les basses du piano, car la main gauche est rarement en-dehors.

Après une courte pause, la pianiste américaine se lance dans le Premier Impromptu de Chopin comme dans une course joyeuse, avec cette même qualité de chant à la main droite. Le dernier accord paraît comme suspendu mais on comprend vite pourquoi : dans sa pédale apparaît la première note du Wasserklavier de Berio. Quelle idée magnifique d’être allée chercher cette courte pièce, l’une des rares qui soit tonale chez le compositeur et justement dans ce la bémol majeur du Premier Impromptu ! La pièce est envoûtante, les doigts de Breen glissent au cœur d’une cascade gelée de traits déroutants.

Loading image...
Rachel Breen à Piano aux Jacobins
© Alexandre Ollier pour le Couvent des Jacobins

Le Deuxième Impromptu est joué avec les mêmes qualités que le premier. La partie centrale comporte un passage fortissimo : c’est la première fois que l’on entend cette nuance dans le concert, elle nous fait ainsi mesurer le grand éventail expressif de l’Américaine. Le Leggiero qui suit avec ses triples croches est une merveille de pureté et de finesse. L’Impromptu passionné de Moussorgski est joué pour son nom, vite oublié il laisse la place au Troisième Impromptu de Chopin, celui où le caractère improvisé sera le mieux rendu. S'ensuit le Fragment d’une pièce pour piano de Schönberg, composé vers 1900 donc bien avant son tournant vers le dodécaphonisme. C'est un petit bijou de complexité et de détours inattendus. Enfin le quatrième des Impromptus est pris à un tempo survitaminé, sans que jamais la ligne du chant ne se perde, dans un mélange de sérénité – car on n’a jamais peur pour la pianiste – et d’urgence.

Une seconde pause nous place devant l’Opus 111 de Beethoven, cette fameuse dernière sonate en deux mouvements qui explose tous les codes. Rachel Breen n’en prend pas la mesure. Son introduction ne crée pas d’angoisse ou d’attente, trop lente, trop lisse. À l’inverse, l’énoncé du thème surprend avec des accents tellement marqués qu’il perd en lisibilité. Le jeu reste parfait, virtuose, mais on est un peu perdu dans un tourbillon d’où un sens peine à se dégager. Heureusement le thème de l’Arietta est magnifiquement chanté, assis sur une très belle profondeur des basses, les différents plans sonores bien équilibrés. Le long voyage dans l’extrême aigu du clavier, la douceur du premier long trille, la perfection technique du dernier, sont des bijoux qui nous font oublier jusqu’à l’endroit magnifique où nous nous tenons.

Après l'aria des Variations Goldberg de Bach donnée en bis comme un soupir, Rachel Breen sort et puis voilà, nous sommes orphelins. C’était trop court… À quand un disque, qu’on puisse l’emporter chez nous ?

****1