Dans l’ancienne église Notre-Dame de Dresde, la tombe de Heinrich Schütz était recouverte d’une plaque en marbre noir qui portait cette inscription : « le plus excellent musicien de son siècle ». Quelque 350 ans plus tard, le Studio de musique ancienne de Montréal nous a montré que ce titre n’était pas immérité en livrant à la Salle Bourgie un superbe concert entièrement dédié au compositeur, qui présentait un assortiment d’œuvres concertantes et de motets, rehaussé de l’oratorio de Noël Historia der Geburt Jesu Christi (Histoire de la naissance de Jésus-Christ).

Saluons d’abord l’ordonnance des œuvres. La première, Cantate Domino, a tout ce qu’il faut pour aviver l’attention en début de concert : des arpèges introductifs allants, des mélismes qui sont comme un ruissellement rapide, des jeux d’écho très rythmés... Quant à la dernière, Hodie Christus natus est, aux alléluias miroitants, elle renferme une sérénité qui laissera le public partir avec un sentiment de résolution. Entre les deux, les œuvres se succèdent agréablement, mettant en valeur tantôt l’orchestre, tantôt le chœur. C’était enfin une idée heureuse de placer juste après l’entracte l’oratorio de Noël, composition riche et originale qui dynamise beaucoup la soirée.
Andrew McAnerney est un chef calme, qui prodigue aux musiciens quelque chose d’une douce confiance. Les pupitres sont exempts d’empressement et de concurrence, ils s’épousent et se complètent. L’équilibre se maintient aisément. En quelques endroits, une phrase est exhaussée pour en faire valoir la beauté, mais rapidement l’ensemble retrouve son unicité. Les volumes sont de-ci de-là contenus, de sorte que chaque voix a l’espace qu’il lui faut pour se faire entendre. Cette approche est appréciable particulièrement dans les motets du Geistliche Chormusik, où le contrepoint de Schütz atteint des sommets. Le soin que McAnerney porte aux accords est très agréable. Il les érige sans précipitation, avec un haut sens de la réserve. Dans le Hodie Christus natus est, par exemple, la tentation est grande de faire éclater l’alléluia conclusif, mais il y résiste ; il tient ferme la bride aux voix et ne la relâche que ce qu’il faut, doucement, pour donner à son accord un aspect rond, plein et chaud.
Le son chaleureux du SMAM n’est pas indifférent, d’ailleurs, à la disposition des musiciens sur scène. En fer à cheval, les choristes enveloppent l’orchestre, et les voix féminines et masculines sont adjointes, entremêlées de façon dynamique, ce qui produit des textures admirablement serrées. La disposition valorise aussi les jeux d’écho. Dans l’Histoire de la naissance de Jésus-Christ, le Chœur des anges est ainsi proprement éblouissant : les traits que s’échangent les choristes sont semblables à de vifs ruisseaux jaillissant de toutes parts. Du côté des instruments, on se plaît à écouter le timbre des cornets à bouquins, de la saqueboute et du violone, qui apportent leur lot de jolies couleurs. Petit regret ponctuel, cependant, au sujet des cuivres : ils paraissent parfois timorés, à des moments où on les voudrait brillants, puissants, en accord avec le faste d’une musique qui doit beaucoup à la Renaissance italienne.
Le chant théâtral de Michiel Schrey détonne un peu dans les œuvres concertantes. En revanche, il est fort apprécié dans l’Histoire de la naissance de Jésus-Christ – œuvre qu’on rattache aux traditions théâtrales populaires – où il donne un beau relief à la narration. Dans le rôle de l’Évangéliste, qui narre les épisodes de la nativité, le ténor appuie les mots utiles, s’épanche sur certaines images, il vit visiblement ce qu’il raconte, de façon que l’intérêt est toujours ravivé. Par ailleurs, il faut louer la soprano Marie Magistry, qui brille dans le passage des aigus aux graves et qui donne beaucoup de fraîcheur aux envolées mélismatiques.
Alors, si l'on se fie aux applaudissements nourris que le public a adressés au SMAM au terme du concert, un constat se dégage : « le plus excellent musicien de son siècle » se surpasse encore dans le nôtre !